Éloge à la lune au Festival D’Opéra de Québec
Dans le cadre du Festival d’opéra de Québec, on peut assister ces jours-ci à la Messe solennelle pour une pleine lune d’été. Une première pour cet opéra en un acte dont la musique et le livret est l’œuvre du prolifique compositeur Christian Thomas. Le travail de ce dernier fut, à la suggestion de l’auteur non moins prolifique Michel Tremblay, d’adapter en version opéra cette pièce de théâtre initialement présentée chez Duceppe en 1996.
La salle presque pleine semblait bien fébrile d’assister à cette première représentation mondiale. Dans une mise en scène d’Alain Zouvi et en compagnie de l’orchestre Les Violons du Roy, savamment dirigé par Thomas Le Duc-Moreau, installé à l’arrière de la scène, les onze protagonistes se sont avancés vers nous, tous en voix. « Mon Dieu, qu’y fait beau! » chantaient-ils tous en chœur. C’est dans une ambiance très dramatique que cette phrase résonnait gravement, et ce, même si ces mots sont normalement empreints d’une certaine légèreté. L’ambiance musicale donnait le ton grave auquel on semblait avoir saupoudré un brin d’épouvante.
Scénographiquement parlant, on retrouve Tremblay dans des installations qui rappellent les balcons, avec les barreaux en fer forgés, les chaises berçantes qui côtoient les chaises droites en bois. Un décor sobre, mais réaliste. On s’est installé ici pour une chaude nuit d’été où la lune grosse et rouge triomphe en dominant la scène d’en haut. Il semble essentiel de souligner ici la judicieuse conception d’éclairages de Madame Lucie Bazzo. Je salue aussi l’idée d’avoir juché le percussionniste, dont la partition a ponctué intelligemment la trame dramatique, tout en haut.
Bon! Maintenant, cessons de tourner autour du pot et parlons de la musique. La musique de Christian Thomas s’agit des poumons de cet opéra, de ce qui donne le souffle à l’œuvre au-delà des mots de Tremblay savamment choisis pour inclure dans ce livret. Ces mots en seraient le cœur qui bat pour poursuivre l’allégorie. La musique de cet opéra est en elle-même une langue unique. Elle porte un message qu’on comprend, qu’on ressent dans les ambiances sonores, dans les mélodies et les airs des 14 pièces ou parties qui reprennent celles d’une messe.
Tantôt en duo, tantôt en solo, l’amour se déchire devant nous, en musique et en chants à travers les protagonistes qui s’époumonent à la lune. Cet opéra a parlé d’amour : l’amour passionné des débuts, celui déchu de la fin, l’amour familial, l’amour perdu, l’amour incestueux, l’amour devenu dédain. Comme un point d’orgue au-dessus des têtes : la fameuse lune orangée que les personnages prient, car il s’agit d’une messe après tout.
Un couple de tourtereaux dans l’Exulate Jubilate, formidable duo de la soprano Magali Simard-Galdès et le ténor Jean-Michel Richer, qui tergiversent sur l’endroit où ils effectueront leurs ébats, donne le ton. On rit un peu des commentaires de leur voisin, mais on comprend et on s’émeut de cet amour naissant.
Il est frappant de voir à quel point la langue de chez nous, notre français parlé, n’est pas si étrange lorsqu’enchâssée dans cet art lyrique. J’ai envie de dire que ça permet d’émouvoir davantage. En outre, j’ai noté quelques passages, dont « Promène ta grande hostie rouge à travers le ciel puis envisage de m’apporter un peu de paix ». Peut-être que l’Opéra parlerait à plus de gens si on l’envisageait plus souvent dans cette langue de chez nous.
Un moment fort touchant fut lorsque les chanteurs imploraient la lune. Bien que les interprètes aient tous, sans exception, offert une prestation impressionnante, les moments exclusivement instrumentaux laissaient une certaine place à la gestuelle des personnages, notamment dans cette scène avec la lune ou lors du tango de la fin, qui ont ajouté des instants de magie et surpris l’auditoire.
Dans la cinquième pièce, où un aidant naturel et son conjoint se disent tannés l’un de l’autre, ces paroles s’entrecoupent de celles où une fille se lasse d’être l’aidante naturelle de son père manchot affublé de, je cite, « deux p’tit christs de mognons » en guise de bras. De petites envies homicidaires traversent l’esprit de ces personnages à bout d’être le soutien de « l’autre ». Ils se sentent enfermés dans leur duo et ils manifestent l’envie de s’émanciper.
On évoque la relation incestueuse du père, l’adultère du conjoint qui, lors du « délit », a attrapé le VIH et s’en meurt. La culpabilité de l’un et l’autre, soutenus par des mélodies et des interprétations bien senties, relèvent de l’exploit. En tant que pharmacienne (dans mes temps libres), je ne pensais jamais entendre chanter l’AZT aussi connue sous le nom de zidovudine, un antirétroviral. Et pourtant, c’est arrivé et c’était touchant pour ceux qui comprennent ou ceux qui ont connu cette époque.
Dans la sixième pièce, Lux Aeterna, ma favorite à chaud, on entend comme thème principal quelques notes du Clair de Lune de Beethoven, bien sûr imbriquées dans une toute nouvelle et reluisante composition de Christian Thomas, mais on comprend le clin d’œil. On applaudit le génie puisque les paroles imbriquées dans le duo majestueux évoquent la paix que pourrait apporter l’astre et on se réjouit de cette compréhension profonde de la musique et du texte qui s’allient devant nous.
Résolument moderne, il est question dans cet opéra de couples gais et lesbiens, de violence conjugale, d’inceste, de veuvage. Tout cela est évoqué, ressenti. La musique nous offre un tableau impressionniste de ces états. Les paroles supportent le propos tout en gardant un ton lyrique. Dans la huitième partie, on devine Au clair de la lune lorsque les personnages s’agenouillent pour demander à celle-ci de rester. « Bon flash! » comme on dit.
Je pense que l’instant le plus touchant de cet opéra est celui de la veuve, la partie 11, Lacrymosa. Nostalgique de son conjoint défunt, la soprano Lyne Fortin transmet par sa voix la mélancolie qui émane de son amour céleste. Une si belle interprétation a su émouvoir la salle, qui se retenait pour ne pas applaudir à la fin de cette partie (car on nous avait dit d’attendre…).
Enfin, soulignons le formidable tango d’orgue à la toute fin, sur ce bel orgue Casavant du Palais Montcalm. Le chœur de chanteurs a entonné un grand Amen, comme toute bonne messe doit se terminer. Souhaitons que cette formidable production puisse être rejouée dans la métropole! Il reste deux représentations à Québec le 31 juillet et le 2 août. Hallelujah!
- Artiste(s)
- Les Violons du Roy, Michel Tremblay
- Ville(s)
- Québec
- Salle(s)
- Palais Montcalm
- Catégorie(s)
- Opéra,
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