
Deltron 3030 au Théâtre Beanfield | Plus que parfaite soirée de rap dystopique
Depuis un petit moment déjà, le concert du légendaire groupe rap qu’est Deltron 3030 — qui eut lieu au Théâtre Beanfield lundi soir — affichait complet. Et sachez que l’engouement était fort mérité, comme ce fut une aussi épique qu’exceptionnelle soirée.
Ça faisait quand même 11 ans que le groupe ne s’était produit dans la métropole, après avoir participé deux fois au Festival International de Jazz (avec un grand orchestre au MTELUS en 2012, puis deux ans plus tard en formule trio pour le spectacle de clôture en extérieur), pour autant de Bluesfest à Ottawa (notre rédacteur en chef y était les deux fois).
Composé du DJ-platiniste montréalais Kid Koala (qui se passe de présentation si vous êtes un.e habitué.e de ce site), du producteur san-franciscain Dan the Automator (The Jon Spencer Blues Explosion, Kasabian, The Black Keys…) et du tout aussi californien MC Del the Funky Homosapien (ou parfois Tha Funkee Homosapien), Deltron 3030 est l’une de ses rares formations hip hop qui sait donner un spectacle punché et mettre le party partout où il met les pieds.
Il faut savoir que Del est ni plus ni moins qu’une légende du rap underground et probablement l’un des meilleurs rappeurs de l’histoire (rien de moins). Depuis 1991, il a fait paraître plus d’une dizaine d’albums solo, sans compter ceux avec Hieroglyphics (collectif rap d’Oakland), en plus d’avoir multiplié les collaborations : de Dinosaur Jr. (sur Judgment Night) à Wu Tang, en passant par Handsome Boy Modeling School, groupe de Dan, dont So… How’s Your Girl? (1999) inclut aussi la participation du Kid! Ah, et c’est aussi Del qui tient le micro sur les tous premiers hits de l’ultra-populaire groupe « dessiné » qu’est Gorillaz.
D’ailleurs, ce dernier est justement né grâce à Deltron 3030, vous savez. C’est sur le premier album éponyme du groupe (paru en 2000) qu’on retrouve la plupart des ingrédients qui donnèrent sa fraîcheur et sa saveur au Gorillaz originel : les excellents et bien funkys beats de type boom-bap de Dan, les textes post-modernes et l’inimitable livraison vocale de Del, les scratchs inventifs et endiablés du Kid, en plus d’invités de choix, dont Damon Albarn de Blur, sur deux pièces. Quand même.
Live, tonight, sold out!
Écrire qu’ils étaient attendus tiendrait de l’euphémisme, et sachez que personne n’ait été déçu, que nenni (votre scribe, du moins)! Car dès que Del posa le pied sur scène autour de 21h30, la foule prit littéralement feu. Et le fun que les gars avaient pendant le concert était foutrement contagieux. C’était du bonbon de voir s’échanger des sourires complices le Kid et l’Automator, qui ont souvent collaboré au fil des ans, notamment sur les projets Lovage et Peeping Tom (aux côtés du grand Mike Patton). Quel bonheur de constater en direct l’immense talent de Del, dont l’aisance n’avait d’égal que sa sympathique nonchalance.
Il faut dire que cette tournée nord-américaine célébrait le quart de siècle de l’album éponyme que le groupe interprétait dans son intégralité, au grand bonheur des fans de la première heure. Au niveau scénographie, pas de fla-fla ici : qu’un écran derrière, sur lequel étaient projetés visuels rétros (en vert sur noir, façon Alien), effets infographiques, captations caméra (gros plans sur les mains de Dan ou du Kid) ou autres dessins crayonnés — vraisemblablement par le Kid, qui est également un artiste/bédéiste.
À bâbord, lorsqu’il n’était pas au micro, Dan nous faisait dos, s’activant à son poste de commande, sur l’un des nombreux claviers, séquenceurs et autres machines antiques branchées à toutes sortes de câbles et fils colorés. Alors qu’à tribord, le Kid scratchait comme s’il n’y avait pas de lendemain derrière la table qui soutenait trois tables tournantes et un séquenceur. Et au centre, nous avions notre capitaine Del, maitrisant son flow comme un pro. Lors des puissantes Positive Contact et Madness, Del livra même a cappella de courts segments avec maestria (pendant que notre bouche faisait ‘whoa’). Alors que sur un trio de pièces plus sombres (et parfois oppressantes), Del était appuyé au micro par Dan pour ajouter de la gravité aux excellentes Virus, Upgrade et Battlesong.
La Gorillaz-esque Time Keeps on Slipping (avec de l’harmonica et la voix de Damon Albarn) fut un autre moment fort, avec un Del particulièrement en feu et un Kid qui faisait parler ses platines ‘just like that’. D’ailleurs, ce dernier s’est fendu d’un interlude en solo à la mi-temps, qui incluait une pièce de son projet rock The Slew, Robbing Banks (Doin’ Time). Bref, toute la place était laissée aux compositions, de la pièce 3030 jusqu’aux trompettes en canne de Memory Loss, incluant tous les intermèdes, qui avaient été conçus par le producteur britannique Mark Bell (1971-2014), dont Dan a tenu à saluer le travail en fin de parcours. Et la cerise sur le sundae? Un extrait d’une nouvelle pièce (Dan l’a fait jouer sur un bon vieux boom box!) figurant sur l’album numéro 3, qui doit sortir au plus tard l’été prochain. Et par-dessus la cerise, les gars ajoutèrent un délicieux coulis de chocolat nommé Clint Eastwood, ce succès planétaire signé Gorillaz. On ne pouvait pas vraiment demander mieux comme finale.
Et en entrée?
Surtout qu’on avait eu droit d’emblée à deux solides services. À 20 heures pile, débuta un court mais efficace set de Kyle Rapps, sympathique rappeur (!) de New York, qui, accompagné de son DJ de cousin (de Montréal, semble-il), a enfilé des versions écourtées de ses pièces, dont les beats très 90s rappelaient ceux de DJ Muggs et des Dust Brothers. D’ailleurs, c’est justement Dan qui a produit son plus récent album, Surf Tape, qui était dispo en vinyle (mais pas en cassette… dommage). Avec des textes cool qui name-droppaient ici et là Meryl Steep, Brian Wilson, Stevie Nicks et John Travolta, le talentueux Kyle a mis tout le monde dans sa poche arrière en moins de trente minutes, pour nous quitter en envoyant royalement chier son président orangé (et — n’ayant pas eu le mémo — Trudeau!).
Ensuite, pour nous réchauffer encore plus, ce fut au tour de Kid Koala en solo (incluant sa traditionnelle version de Moon River et un petit bout de So Watcha Want des Beastie Boys, notamment), qui avoua avoir merdé avec l’itinéraire de la tournée, car il ne sera pas à la maison le jour de son anniversaire de mariage… tout en promettant à son épouse (qui était dans la salle) pour se racheter que cette soirée-ci serait tout un party d’anniversaire! La chanteuse et beat-makeuse de Los Angeles Lealani prit ensuite le relais pour une pièce de son cru (en s’accompagnant de son séquenceur), avant que le Kid ne repasser rocker ses tables tournantes (on ne se tanne jamais de le voir jouer de la guitare en scratchant sur du rock, comme sur Blue Orchid des White Stripes!), et que Lealani ne reviennent pour prendre une guitare et jouer une autre pièce (Sophisticated Girl, écrite à l’âge de 15 ans!) avec le Kid à la batterie, qui nous rappelait la trame sonore de Scott Pilgrim Vs. The World (sur laquelle figure le Kid, justement!).
La paire joua ensuite deux pièces tirées du plus récent album du Kid, Creatures of the Late Afternoon; 2023), soit Things Are Gonna Change et 1000 Towns (avec le Kid en mode blues pour une rare fois au micro!), liées par un très frais freestyle-battle séquenceur contre platines, pour terminer par The Night (tirée de l’album Fantastic Planet de Lealani, paru en 2019).
P.S. Les fans du Kid seront ravis de savoir que son tout premier long métrage animé Space Cadet aura sa première québécoise au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts dans le cadre du Festival du Nouveau Cinéma, qui sera suivi d’un show gratuit de Vinyl Vaudeville au Quartier général du FNC!
Photos en vrac
- Artiste(s)
- Dan the Automator, Del The Funky Homosapien, Deltron 3030, Kid Koala, Lealani
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Théâtre Beanfield
- Catégorie(s)
- Rap/Hip-hop,
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