Critique théâtre | Le dernier rôle au Théâtre M.A.I.

Du 26 février au 8 mars, le MAI présente Le dernier rôle, un spectacle consciencieusement écrit, sobrement mis en scène et impétueusement interprété par Mohsen El Gharbi. Cette pièce forte quoiqu’un peu chargée traite de l’atrocité d’un assassinat collectif tout en questionnant la vie d’acteur et l’angoisse si présente chez nombre d’entre ceux ayant choisi ce métier.

Le dernier rôle est le drame d’un homme qui croit tenir le rôle qui saura le faire connaître, puisqu’il s’agit de l’exigeant rôle de l’auteur d’un massacre collectif. Personne ne veut jouer ce Mark Taylor, tueur de 17 femmes à L’A.I.T. (Anchorage Institute of Technology) : on pense ne pas pouvoir arriver à comprendre la psychologie du personnage à la fois qu’on craint de se découvrir monstrueux soi-même dans le cas où on y parviendrait.

L’acteur à qui ce rôle échoit veut donc s’en servir comme tremplin pour sa carrière, mais s’identifie difficilement à celui qu’il doit incarner, même en ayant recours à nombre de techniques de détachement et de concentration afin de «devenir» son personnage.

Dans sa quête d’identification à Taylor, il a souvent recours à la psychologie et à la psychiatrie pour tenter de trouver ce qui a pu pousser le meurtrier à commettre ce crime avant de se donner la mort. Mais la ligne peut être mince entre le minimum d’identification nécessaire à un acteur pour pouvoir interpréter un personnage et l’identification réelle à ce dernier, qui peut s’avérer dangereuse pour l’équilibre mental de l’interprète lorsque ce personnage est violent et dérangé.

Le personnage de l’acteur jongle ainsi avec ses propres problèmes et ceux du tueur, les associant ou dissociant tour à tour, maladroitement, et s’imposant des exercices frénétiques et parfois brutaux. Ces manoeuvres ne le font pourtant pas avancer vers une bonne interprétation du tueur puisqu’il revient irrémédiablement à penser à lui-même ou à des questions incessantes par rapport à des détails manifestement insignifiants ou à des alternatives d’éléments de l’histoire de Taylor. Bref, beaucoup trop dissipé pour accomplir son travail d’acteur, il s’enfonce dans une spirale de confusion identitaire, entraînant par moments les spectateurs avec lui.

Bourrée de références contemporaines plus ou moins directes aux acteurs de meurtres multiples tels Marc Lépine et même Adolf Hitler, ainsi qu’à une des victimes de la fusillade de Columbine, dont le personnage du tueur porte le nom, cette performance interpelle douloureusement l’empathie et l’impuissance du public.

C’est dans un décor très sobre et sous des jeux de lumière efficaces qu’El Gharbi fait évoluer son texte d’angoisse et de solitude qui paraît parfois lourd à porter pour un seul acteur.

Construit plutôt agilement en cycles, Le dernier rôle est plus appréciable en rétrospective qu’en direct en raison d’apparentes incohésions qui surgissent souvent au long de la pièce mais qui trouvent leur explication en avançant dans le texte ou après les avoir mises en contexte dans l’ensemble.

Ainsi, si la démarche d’El Gharbi est recherchée et ingénieuse, la réalisation de son projet d’homme-orchestre aurait pu bénéficier d’un plus grand apport de ressources extérieures, qui auraient pu créer un ensemble plus dynamique.

 

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