Critique | Les Champs pétrolifères à l’Espace Go

L’Espace Go présente jusqu’au 14 décembre dans sa salle principale Les Champs pétrolifères, une première œuvre de Guillaume Lagarde, jeune auteur autodidacte tombé dans l’œil du Théâtre PÀP. Réflexions sur ce délire de l’ultime consommation : celle d’un individu.

C’est connu, le gazon du voisin est toujours plus vert. Raison de plus pour l’espionner afin de percer son secret, d’un coup que le Bonheur serait quelque part pas trop loin, à portée de main.

Photo de courtoisie, par Lydia Pawelak.

Photo de courtoisie, par Lydia Pawelak.

Quand une adolescente trash qui traîne au centre-ville se voit ramenée par un jeune troublé en suit de moto dans sa beige banlieue, il se pourrait que ça fasse plus que l’intriguer, donc. Qu’elle y voit plus qu’un jeu. Le confort parfaitement parfait de la demeure, l’uniformité de ses angles, le moelleux de son tapis, la beigitude jouissance du conformisme de la ville-dortoir ont quelque chose de rassurant.

Il est de ces lieux qui nous attirent, sans qu’on sache trop pourquoi. De ces endroits attisant une sorte de curiosité malsaine, nous poussant à vouloir savoir ce qu’on peut y trouver, sachant pourtant très bien qu’on s’y prendra les pieds. Et pas pour le meilleur.

Les Champs pétrolifères raconte comment l’arrivée d’une étrangère dans un nid de fausse perfection vient déconstruire un univers rodé, mais désagréable, inconfortable. Bousculer les habitudes de ces gens qui parlent uniquement pour avoir quelque chose dans la bouche – par peur du silence ? – ces gens qui déblatèrent pour masquer leur ignorance, leur insignifiance. Leur vie vide de sens. Une famille qui subsiste uniquement grâce à l’extrême tension qui oppose les uns aux autres.

Photo de courtoisie, par Lydia Pawelak.

Photo de courtoisie, par Lydia Pawelak.

Cette punkette qui débarque, d’abord refusée par la mère, viendra combler un besoin de filiation du fils et un besoin de nouveauté, d’excitation des parents. Tous, ils sont embourbés dans leur platitude et leurs infinis reproches mutuels. La jeune citadine se posera d’abord en rivale de par son sexe, assurément, vis à vis de la mère. De par son âge, aussi. Mais surtout parce qu’elle brisera l’apparence d’équilibre de leur trinité.

Cette enfant échangera les clés de son innocence, de sa différence, de sa personnalité en construction (ici, son journal) contre les clés de la piaule de banlieue, l’accès à l’ordinaire réconfortant. Et c’est à partir de là que s’opérera chez elle la transformation de l’unique en commun, en banal. Contre sa marginalité un espace de confort sécurisant.

D’abord, ce projet, que la famille construit autour d’elle, est indéfini. Chacun la veut pour des motifs différents. Ils ne vivent que dans le besoin d’être et d’avoir l’autre, de la posséder, de la façonner, à leur image, selon leurs désirs, leurs besoins, leurs envies. Ils vivent du regard de l’autre, de l’idée que l’autre se fait d’eux, de l’image qu’ils projettent. Une image idéalisée d’eux-mêmes, inatteignable. Un miroir pour se vautrer dans le narcissisme pour ne pas avoir à reconnaître leur vraie laideur, leurs incohérences, leurs échecs, leur insipidité. Un genre de double adaptable pour réaliser leurs fantasmes et vivre à travers lui (elle) par procuration, par projection.

L’étrangère, après avoir exigé toutes sortes de choses et leur contraire, on s’en arrachera les faveurs, l’attention. De marginale, elle deviendra une poupée qu’on tire et qu’on étire dans tous les sens. Une chose qu’on adopte, qui nous adopte et qui finit par se laisser (dé)posséder.

Ainsi, Blanche deviendra Coralie, et elle disparaîtra momentanément pour revenir au galop. Mais il se sera opéré pendant son absence une étrange alliance – prévisible – pour mener à bien les desseins, divergents, des trois autres protagonistes. Ils s’uniront de façon sordide pour parvenir à la faire rester. Parce qu’il est évident qu’à travers elle, il y a une sorte de salut. Ils ont besoin qu’elle existe, qu’elle soit là, ne serait-ce que pour les divertir. Pour donner de la couleur à leur existence.

Mais parce que le marginal, le coloré, n’a pas sa place dans la banlieue, dans la conformité qu’on y exige, il n’y aura qu’une porte de sortie : l’éclaircir, s’en emparer, le javelliser pour mieux l’assimiler, se l’approprier et, ultimement l’utiliser à outrance. Si on avait poussé encore plus loin, il est clair qu’ils l’auraient rejetée. Quand ils lui auraient tout pris, qu’ils l’auraient usée, ils s’en seraient débarrassés, l’accusant sans doute de sa normalité, lui attribuant leurs maux, alors qu’au départ elle était là pour les en soulager, parce qu’ils l’ont voulue. Mais une nouveauté ne le demeure pas longtemps. Le nouveau finit toujours par perdre de son intérêt au profit d’une nouvelle nouveauté. Ça, c’est le cycle de la consommation.

Photo de courtoisie, par Lydia Pawelak.

Photo de courtoisie, par Lydia Pawelak.

 

Beaucoup (trop) de lectures possibles?

Il y a du Pleasantville, de l’American Beauty ou, même, du Dogville dans Les Champs pétrolifères. Par les parallèles et les ressemblances dans les thèmes et leur traitement, mais aussi dans l’éclatement, dans la scéno, dans la structure, dans le malaise, surtout.

Toutefois, la multiplicité des sujets, des pistes de réflexion, des interprétations et lectures possible occulte le sens qu’on voudrait peut-être dégager de ces denses 90 minutes aux textes plus que chargés.

Il y a du malaise d’un bout à l’autre de la pièce. Jusque après les applaudissements, polis, du public. Qui ne sait trop quoi penser de cette fable moderne qui percute, dérange et qu’on voudrait rejeter, parce qu’elle est horrible. Mais elle est horrible parce qu’on sait bien trop que malgré la caricature au trait gras, on s’y reconnaît.


 

Les Champs pétrolifères
Espace GO
Du 19 novembre au 14 décembre
Texte : Guillaume Lagarde
Mise en scène : Patrice Dubois
Avec : Marilyn Castonguay, Guillaume Cyr, Annette Garant et Jacques Girard

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