Critique album | Détroit – Horizons

Détroit - Horizons Détroit Horizons

Détroit, c’est le nom que s’est donné le duo formé de Pascal Humbert et Bertrand Cantat. Un nom qui n’est pas anodin ; un détroit est un passage exigu entre deux mers.  Pour l’ex-chanteur de Noir Désir, il y avait l’avant-Trintignant, et il y aura autre chose. Pour l’instant, on se trouve entre les deux, dans un douloureux passage obligé.

Il serait tentant de qualifier cet album de premier disque solo de Cantat. Les Inrocks parlent même de son « premier album post-apocalypse ». Même si la voix de Cantat, son tragique passé controversé et son retour en selle en font le point d’intérêt principal de ces Horizons, la présence de Humbert n’est pas à négliger. Il avait créé, avec Cantat, les chœurs antiques de la trilogie théâtrale Des femmes du metteur en scène libano-québécois Wajdi Mouawad en juin 2011. On se rappelle de la controverse.

Mais il est tout de même vrai que Cantat porte à lui-seul la grande part de la pression et de l’intérêt envers ce projet. Première offrande post-Noir Désir officielle, près de dix ans après l’affaire de Vilnius (le meurtre de sa petite amie Marie Trintignant en 2003), et le suicide de sa conjointe et mère de ses enfants Krisztina Rády en janvier 2010, l’artiste a du plomb dans la bio et le coeur forcément lourd comme du granite. À la lumière des récentes révélations au sujet du suicide de Rády, alors qu’un ouvrage soulevait des soupçons de violence conjugale, voire de menaces de mort, l’affaire prend des proportions qui dépassent le simple entendement d’un disque de chansons comme un autre.

Ironiquement, Cantat a toujours été un poète rock viscéral, qui criait la révolte, crachait la dénonciation et hurlait la liberté dans le Noir Désir des années 1990, et semblait se diriger vers un spleen, voire une romance touchante au tournant du millénaire, avec l’inoubliable Des visages des figures.

Avec Cantat, il a toujours été question de principes, de droiture, d’intégrité, de liberté, de redevabilité : tous des principes qui ne peuvent plus être abordés avec autant d’abandon et même, à la limite, qui reviennent le hanter à la lumière des événements des dix dernières années.

Il n’est donc pas surprenant de retrouver, dans ce nouvel album, des textes lourds, personnels, introspectifs, chargés de double-connotations (notamment sur Ange de la désolation, qui provoque un malaise lorsqu’on s’y arrête). Il est question de ses années en prison – d’ailleurs, on le sent encore emprisonné – et de Trintignant.

La musique ne va pas du tout à contresens de ce sentiment. Le ton y est mélancolique, fragile, vulnérable, les tempos sont lents ou modérés. Le rock mordant à la Noir Désir s’insère ici et là, retentit sur Le creux de ta main, mais laisse plus souvent le plancher aux guitares acoustiques et aux poussiéreuses sonorités folk Americana.

Lorsque Cantat tente le sarcasme sur Sa majesté, ce n’est pas très convaincant. Ses morceaux rock à l’Américaine ressemblent plutôt à des subterfuges pour éviter d’aborder l’évidence. Une reprise d’Avec le temps de Ferré vient s’insérer au lot. Pas très réussie musicalement parlant. Drôle d’orientation.

Tout ce qu’il y a de vrai sur Horizons, ce sont ces (heureusement nombreuses) chansons où Cantat pose sa voix abîmée, voire abattue, qui trahit le poids immense qui pèse sur les épaules du principal intéressé.

On dit souvent que la douleur nourrit les vrais artistes : on n’est pas dans la petite douleur ici. Ce qu’il manquera au public pour l’apprécier, c’est sans doute le recul. Et ce sentiment de culpabilité d’apprécier une oeuvre qui pourrait trop facilement réhabiliter le monstre génie…

Il n’en demeure pas moins que deux pièces d’anthologie s’insèrent sur cet album : Droit dans le soleil, sublimissime chanson co-écrite avec Wajdi Mouawad, et Horizon, qui évoque la prison dans les textes et exploite cette thématique de brillante façon avec la construction magistrale d’une tension qui explose au final.

Premier album « post-apocalypse » comme disaient les Français. Un disque transitoire qui démontre que l’artiste est durement affaibli, mais pas mort.

Visiblement, il y aura autre chose de plus grand. Pour l’instant, il faut traverser le Détroit.

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