Bonjour là bonjour

Bonjour là bonjour au Théâtre Denise-Pelletier | Un premier rendez-vous Tremblay-Poissant manqué

De la même manière que ça prend des comédiens shakespeariens, moliéresques, tchékhoviens ou rabelaisiens pour jouer Shakespeare, Molière, Tchékhov ou Rabelais, ça prend des comédiens tremblayiens pour jouer du Michel Tremblay. C’est beaucoup là ce qui compromet la première incursion du metteur en scène Claude Poissant dans l’univers de Tremblay avec Bonjour, là, bonjour au TDP. Car ça prend aussi un metteur en scène tremblayien pour bien rendre au théâtre une pièce de Tremblay.

Bonjour, là, bonjour a été créée en 1974, puis reprise en 1978, ce qui fait que la pièce n’a pas été jouée à Montréal depuis un bon 20 ans. Claude Poissant, qui de surcroît s’adonne à diriger le TDP, n’aura pas su, à quelques exceptions près, choisir son monde pour livrer sur scène la truculence de ces personnages, simples en apparence, mais aux prises avec des problèmes moraux insolubles.

Michel Tremblay nous dit que c’est « une pièce sur l’amour, qui fait fi de tous les tabous ». On veut bien le croire, mais il faut au détour une manière, un verbe, un port de tête et des coups de gueule qui soient propres à ses personnages de théâtre pour que la couleur Tremblay ne soit pas dissoute. D’autres metteurs en scène ici, comme René-Richard Cyr, Lorraine Pintal, Brigitte Haentjens et Martine Beaulne, en plus d’André Brassard bien sûr, l’ont compris et bellement assumé pour porter ses textes de l’intime à l’universel.

L’histoire de Bonjour, là, bonjour est plus complexe qu’il n’y paraît. Lorsque s’amène en scène en silence le personnage central de Serge, 25 ans, il revient de trois mois passés à voyager en Europe, le temps de s’éclaircir les idées à propos de son amour inavouable pour sa sœur Nicole. Vêtu d’un pantalon coloré à pattes d’éléphant, et portant des souliers plateformes, c’est Francis Ducharme qui incarne Serge, un peu figé, et sans que ne se fassent sentir les tourments retrouvés dans sa famille dysfonctionnelle. Le comédien, qui est aussi un excellent danseur, paraît absent, dépourvu des relents si essentiels de la révolte sociale des années 70 au Québec. Aussi talentueux que soit Francis Ducharme, il n’est pas tremblayien.

* Photo par Gunther Gamper.

Tout le contraire de son père Armand, 70 ans, emmuré dans sa surdité croissante, qui n’est jamais allé plus loin que Guy et Dorchester, et que tous les clichés accolés à Paris dépassent. Comme les paternels de son époque, il ne sait pas communiquer avec ses enfants, aussi bien dire qu’il en est incapable. Gilles Renaud est magnifique dans ce rôle qu’il avait joué à la création de la pièce, 44 ans plus tôt. Un tour de force pour ce grand comédien taillé sur mesure pour illustrer la parole de Tremblay dont étonnamment ici la mère est absente.

Mais, c’est la comédienne Sandrine Bisson dans le rôle de Lucienne, la grande sœur jalouse et intrigante de Serge, qui crée la surprise. Telle une Denise Filiatrault qui en impose juste assez, ou une Rita Lafontaine sèche et autoritaire, elle a le chien et la superbe de l’emploi. Sinon, les deux « ma tante », Charlotte et Gilberte, jouées raides comme une barre par Annette Garant et Diane Lavallée, paraissent sorties d’une autre pièce tellement elles sont froides et distantes du drame ambiant, avec une certaine mièvrerie dont le texte est parfois accablé.

* Photo par Gunther Gamper.

Des quatre sœurs qui n’ont toujours eu de cesse de chouchouter le jeune Serge, Geneviève Schmidt en Denise offre une fraîcheur dont tous ont grandement besoin. Provocante dans sa jupe écourtichée, la comédienne manie comme personne l’humour à connotation sexuelle insidieuse. Sa longue tirade existentielle, alors qu’elle se dresse debout sur la table, est l’un des meilleurs moments de la soirée.

Alors que Mireille Brullemans en Monique, produit moins d’effets que sa trousse de pilules pour les nerfs, et vient ralentir la progression de la pièce vers un dénouement qui n’a plus l’impact des mœurs cachées de l’époque. Enfin, Nicole, celle par qui le péché est commis, prête à l’afficher au grand jour, est jouée plutôt mollement par Mylène Mackay, c’est-à-dire sans cette passion amoureuse qui dévore tout.

Chorégraphiés par Jacques Poulin-Denis, les entrées et les sorties des comédiens sont fluides, et la forme de tragédie chorale voulue par l’auteur opère. Par contre, la scénographie d’Olivier Landreville laisse songeur. L’aspect de manoir seigneurial du début s’estompe peu à peu, pour en arriver à des murs désormais blancs, ajoutant d’anciennes caisses en bois de Coke et de 7Up à des meubles discordants comme ce grand sofa de style Renaissance ou Napoléon, plutôt étranger à l’univers du Tremblay de la Main et de la rue Fabre.

De la trentaine de pièces du célèbre auteur, Bonjour, là, bonjour n’est pas une œuvre majeure, comme le sont Les Belles-soeurs, À toi, pour toujours ta Marie-Lou ou encore Hosanna. Mais, c’est une pièce courageuse dont Claude Poissant avait réservé les droits il y a quatre ans déjà, habité depuis ses 18 ans par la dramaturgie de Michel Tremblay, si efficace quand le tain du miroir fonctionne avec des comédiens tremblayiens.

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