crédit photo: Haolin Huang
Bilan

Bilan de Marcel Dubé au Théâtre du Nouveau Monde | Un constat d’échec réussi

Marcel Dubé est né au 2364 de la rue Logan à Montréal le 3 janvier 1930. Il a habité aussi avec ses cinq frères et ses deux sœurs au 4027 rue Cartier, dans le voisinage du Parc La Fontaine. Éduqué chez les Jésuites du Collège Sainte-Marie, l’auteur compte avec Gratien Gélinas, Michel Tremblay, Françoise Loranger et Jean-Claude Germain, pour l’un des pères fondateurs de la dramaturgie québécoise. Dubé aura été le précurseur des tiraillements sociaux qui ont bouleversé le Québec entre la Grande noirceur et la Révolution tranquille. Bilan, la 18e pièce écrite par lui et reprise au TNM 50 ans plus tard, est un événement en soi.

Le metteur en scène, Benoît Vermeulen, pour sa première présence au TNM, a choisi de se rapprocher du texte d’origine créé en 1960 par le réalisateur Paul Blouin au Téléthéâtre de Radio-Canada. En 1968, année charnière de la révolte étudiante et populaire en France, c’est le regretté Albert Millaire qui signait la première mise en scène de Bilan sur les planches du Théâtre Port-Royal où le TNM a résidé un temps après la démolition de l’Orpheum.

Il faudra ensuite attendre jusqu’en 2002 pour une recréation au petit écran d’une adaptation dont Lorraine Pintal signait la réalisation à Radio-Canada. C’est d’ailleurs en réponse à sa proposition que Benoît Vermeulen a découvert l’œuvre et décidé de sauter dans l’aventure.

L’histoire de Bilan se déroule en 1960. Marcel Dubé prend alors ses distances avec le milieu ouvrier qu’il dépeint dans ses premières pièces, dont Zone et Les Beaux Dimanches, en passant par Le temps des lilas, Un simple soldat et Florence. Ce changement de classe sociale, qu’il est le premier ici à explorer avec des personnages issus de la petite bourgeoisie, apporte un virage en u dans son œuvre. L’argent, et le pouvoir qu’il donne, se retrouve au cœur de la nouvelle réussite sociale des protagonistes, mais aux dépens d’un bonheur simple et accompli sur le plan de leur vie personnelle.

Ce qui n’a pas changé toutefois chez Dubé, c’est que l’alcool coule à flots dès le petit-déjeuner, révélateur des sentiments exacerbés, des gestes et des petites et grandes frustrations, empruntant des chemins troubles entre des couples qui se haïssent, des enfants insoumis qui se mentent en famille, et un terrible sentiment de trahison et de vie ratée qui traverse toute la pièce.

* Photo par Yves Renaud.

Ainsi, William Larose qui s’est construit un empire financier en étant parti de rien, se prépare à se lancer en politique, plus précisément en tant qu’organisateur en chef du parti Union nationale. Cette ambitieuse consécration pour lui laissera néanmoins de glace Margot, à qui il est marié depuis 30 ans, et leurs enfants gâtés. À la création, Jean Duceppe et Janine Sutto formaient le couple pivot, entourés de Monique Miller, la muse de l’auteur depuis 1952, Andrée Lachapelle, Hubert Loiselle et Benoît Girard, presque tous disparus aujourd’hui, à l’instar du grand dramaturge qui nous a quittés en 2016.

Dans la production actuelle, c’est Guy Jodoin qui joue le bien nanti, patriarche arriviste pour qui tout s’achète, aux côtés de Sylvie Léonard en Margot avec son penchant pour les pilules. Le fil est parfois mince, le courant ne passant pas avec une fluidité constante entre les deux comédiens, mais en gros, ils se tirent bien d’affaire. Guy Jodoin évite de justesse le cabotinage, ce qui lui aurait été fatal en termes d’autorité familiale. Et Sylvie Léonard, qui peut décidément tout jouer avec talent, brise sûrement ici le record de changements de robes. Linda Brunelle aux costumes ne s’est pas privée, c’est le moins que l’on puisse dire.

Rachel Graton en Suzie, la fille ingrate, brûle les planches dans ce rôle de femme nouvellement émancipée, ou le devenant. Mickaël Gouin en Guillaume, le fils tout aussi ingrat dont la nonchalance ne le prédispose pas à reprendre les affaires du père, est un jeune comédien qui continue de faire sa marque.

Alors que Christine Beaulieu, en petite amie de Guillaume, rayonne dans sa robe Dior payée 150. $, une somme à l’époque. Celle qui s’est fait connaître avec le solo chanceux J’aime Hydro, fait montre d’une belle légèreté aérienne dans son jeu, d’une volatilité verbale qui se traduit dans sa gestuelle avec une forte dose de sensualité. Il faut dire que les comédiens ont été dirigés dans leurs mouvements, jusqu’à les faire danser sur place, ce qui est juste assez déstabilisant pour le spectateur.

* Photo par Yves Renaud.

Benoît Vermeulen, également comédien ayant cofondé et étant codirecteur artistique de la compagnie Théâtre Le Clou depuis 1989, a travaillé principalement à du théâtre destiné aux adolescents. Dans son mot du metteur en scène, il écrit : « Marcel Dubé critique cette société avec virulence. Son regard est dur et pessimiste. Les pulsions de ses personnages sont désespérées, destructives et cyniques. Presque tous veulent une autre vie que la leur. »

La musique originale de Nicolas Basque, le décor astucieux de Raymond Marius Boucher avec qui le metteur en scène a souvent travaillé en tandem, et les maquillages et coiffures du vétéran Angelo Barsetti, répondent bien à la conception vidéo immersive de David B. Ricard. En somme, un bilan positif en même temps que doux-amer pour ce nouveau Bilan livré au vénérable Théâtre du Nouveau Monde, 50 ans plus tard.

* Photo par Yves Renaud.

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