crédit photo: Jérôme Daviau

Aaron Shragge / Robbie Kuster et Simon Angell / Tommy Crane à l’URSA Mtl | Musique improvisée pour aller plus loin

Après la fermeture du Résonance Café, l’Ursa devient la seule petite salle à offrir une scène aux musiques improvisées. Lundi dernier, c’était deux duos qui nous étaient présentés : Aaron Shragge / Robbie Kuster et Simon Angell / Tommy Crane avec de la musique pas comme les autres aux confluents du rock, jazz, ambient et expérimental.

Aaron Shragge et Robbie Kuster

Le duo Aaron Shragge et Robbie Kuster commence la soirée. La paire joue ensemble depuis 8 ans dans un échange unique.

À gauche de la scène Aaron Shragge : musicien montréalais d’origine, new-yorkais depuis 20 ans, il joue de différents instruments à vent originaux, comme la shakuhachi (une flûte japonaise comme celle jouée dans Kill Bill pour faire une gros raccourci) et la trompette à gueule de dragon (Dragon Mouth Trumpet en VO) qui est un instrument unique, une sorte de trompette à coulisse.

Shragge produit des albums en duo avec Ben Monder (guitariste new-yorkais d’avant-garde que l’on a pu entendre aussi bien avec le saxophoniste montréalais Samuel Blais que sur le dernier album de David Bowie). J’étais présent lors du lancement de l’album This World of Dew du duo Shragge / Monder à la Vitrola en 2018 et j’avais été fort impressionné. Autre projet de Shragge, un groupe de reprise à sa façon de Tom Waits.

À droite de la scène, Robbie Kuster, pilier de la batterie montréalais, que l’on ne présente plus ou rapidement alors : à l’origine de la formation Patrick Watson, il accompagne Louis-Jean Cormier, Marie-Pierre Arthur, Black Legary et est aussi très actif sur la scène jazz avec la pianiste Marianne Trudel, Yannick Rieu, le projet Lucioles de Guillaume Martineau, René Lussier et est le producteur de l’album de Bye Parula. Ce soir, il délaisse son kit de drum traditionnel pour deux imposants tambours, sorte de timbale de 4 pieds de diamètre avec des rototoms et surtout un kalimba (orgue à pouces) amplifié avec du vibrato qui donne un son proche d’un vibraphone.

Le duo  nous présentera cinq pièces différentes avec son orchestration très originale. La première improvisation est avec Shragge à la shakuhachi, aux boucles et aux pistes enregistrées sur mac et Kuster au kalimba. L’ambiance est définitivement ancrée dans un style ambient avec de longues mélodies qui prennent le temps de se développer et un accompagnement aux notes vaporeuses.

La pièce suivante voit Shragge avec sa fameuse trompette à gueule de dragon qui ne le quittera plus de la soirée et Kuster au kalimba nous proposent une invitation à la rêverie et à la méditation. S’ensuit un titre composé par Robbie Kuster alors que les autres compositions étaient signées du trompettiste. Ici la trompette à coulisse s’accompagne de nombreux effets et Shragge avouera que le vocodeur est l’effet qu’il a le plus exploré lors des confinements de ces dernières années. Sur les deux derniers titres, Kuster joue des percussions sur ses deux énormes peaux tendus dont il explore les différentes sonorités, utilisant même des balais tout aussi énormes qui ressemblent fortement à des bâtons de sauge pour nous purifier. Le spirituel est bien présent avec la formation, on est loin d’une musique occidentale traditionnelle et l’exploration que mène Shragge avec les musiques japonaises ou le chant indien se retrouve ici. Ce n’est pas forcément très abordable mais le voyage nous récompense de joie et de sérénité.

Simon Angell et Tommy Crane

Après un changement de scène, voici le deuxième duo de la soirée avec à la guitare, Simon Angell, membre fondateur du Patrick Watson des débuts et autre tête pensante du groupe Thus:Owls (groupe à géométrie variable mais toujours passionnant créer en compagnie de sa femme à la voix d’or, Erika Angell) et également accompagnateur de Sagot et Matt Holubowski.

Dans son chandail Joan Mirò ainsi qu’à la batterie traditionnelle et aux claviers pour des lignes de type drone et des boucles, voici le batteur Tommy Crane, un musicien qui voyage entre Montréal et New-York et qui a joué avec Aaron Parks, Melissa Aldana et La Force.

Pendant le confinement, il a enregistré son premier album sous son propre nom We’re All Improvisers Now, sorti le 24 juin dernier, notamment avec Simon Angell. Il est à noter que le duo joue ensemble depuis 4 ans mais que c’est seulement la deuxième fois qu’ils se produisent devant public. Le concert est prévu d’un seul bloc sans interruption.

Leur set commence avec Angell glissant un archet sur sa rutilante guitare Guild et rapidement, jouant des pieds et des mains sur ses pédales d’effets pour ajouter des boucles ou créer une note infinie. Son approche est radicalement physique avec la guitare, la prenant littéralement à bras le corps pour lui extraire des sonorités originales et revenir ensuite sur des sons clairs avec des mélodies qui me rappellent le jeu d’un Bill Frisell au début des années 90.

Tommy Crane apporte son jeu de drum plein de finesse, alternant entre baguettes, balais et mailloches en plus de ses drones joués au clavier. Le dialogue entre les deux instrumentistes est naturel et les approches changent au cours des six mouvements que compteront leur improvisation. Le langage d’Angell est étendu, au-delà de ses pédales d’effets avec l’utilisation d’ebow (un archet électronique qui fait vibrer les cordes par magnétisme) ou d’une petite cymbale tibétaine collés aux cordes par l’aimant des pickups et qui transforme la guitare en percussion originale.

Encore une fois, la musique est amenée ailleurs dans cette exploration et si ça n’est pas tout public, si l’on a un tant soit peu d’ouverture d’esprit, nous sommes récompensées par la belle inventivité qui nous est proposée.

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