Critique théâtre | J’accuse au Théâtre d’aujourd’hui
J’accuse d’Annick Lefebvre est de ce genre de pièces qu’on attend avec impatience. La salle pleine à craquer en faisait bien la preuve. Il suffit de lire le synopsis accrocheur pour être intrigué : « Elles sont cinq. Elles ragent ». Et il y a cette distribution, très solide, avec ces cinq actrices de talents dont la réputation n’est plus à faire. Le pari est somme toute risqué, cinq monologues en deux heures… Pari risqué qui, malgré quelques anicroches, est réussi avec brio.
J’accuse, c’est la rage de cinq femmes contre leur vie, la pression qu’elles se mettent sur les épaules, les conventions dans lesquelles elles se sont emmurées. C’est aussi la rage d’un quotidien qu’elles souhaiteraient meilleur, différent.
C’est aussi un texte intelligent et bien ficelé. À travers cette colère pointent quelques touches d’humour qui déclenchaient à tout coup les rires du public. Ces femmes ne sont pas qu’en colère; le texte d’Anick Lefebvre nous fait découvrir en un bref instant des femmes complètes et complexes qui ont soif d’une vie, débordantes d’ambition. Ces monologues qui ont l’allure de manifestes sont tous très personnels, intimes et empreints de sensibilité.
Il y a celle qui vend des bas de nylon toute la journée à des avocates du centre-ville. Excédée par les jugements et le mépris de ces femmes d’affaires qui défilent devant ses yeux du petit matin à la fermeture. Excellente Ève Landry qui nous montre une autre facette avec ce rôle différent de ce à quoi nous étions habitués, moins dur et agressif. Plus en retenue, qui garde au fond d’elle toutes ces frustrations et qui reste droite devant les insultes.
Nous retrouvons aussi la femme d’affaires fonceuse qui a décidé de démarrer sa propre PME, malgré un contexte économique difficile. Catherine Trudeau est des plus convaincante dans son interprétation de cette femme tétanisée par la peur de son échec à venir, cette femme aux rêves de luxes et de richesse qui ne peut supporter l’idée de tout perdre et de se retrouver seule.
Puis, il y a celle qui souhaite plus que tout se « pogner » un Québécois, un vrai. Elle a tout lu, tout vu du cinéma québécois pour s’intégrer à sa nouvelle société, mais se voit confrontée aux préjugés et fausses croyances. L’interprétation d’Alice Pascual apporte de la légèreté à la pièce, nous redonne un petit souffle après la lourdeur des deux premiers monologues. On rit de bon cœur avec cette jeune femme pleine de douceur et de charme qui rêve de s’ouvrir une cabane à sucre et de trouver sa place.
Et voilà que la flamboyante Debbie Lynch-White fait son entrée en admiratrice inconditionnelle d’Isabelle Boulay. Celle-ci s’adresse directement à l’auteure qui a fait une incursion dans un groupe de fans de la chanteuse. Elle veut régler ses comptes à Annick Lefebvre, celle qui la juge d’aimer autant la chanteuse. Ici, il n’y a plus de place à la lourdeur et à la souffrance, que du rire et des chansons.
On retrouve un ton plus sérieux, avec la jeune femme effondrée d’avoir perdue quelqu’un qui lui était cher et qui n’arrive pas à se remettre de cet abandon et qui vit la souffrance du rejet. Cette jeune femme qui ne demande qu’à aimer qui a tant d’amour à donner aux autres et si peu pour elle-même. Léane Labrèche-Dor est d’une belle sensibilité. On est touché par cette jeune femme prise dans sa tristesse et pour qui la moindre tâche semble insurmontable.
Dans ce décor presque absent – un grand mur de béton, une chaise et micro —, la place est donnée toute entière aux actrices et à leur voix, sans aucun artifice. Et elles savent la prendre avec force et talent cette place. La mise en scène de Sylvain Bélanger est sobre et statique… Parfois trop, on ressent quelques longueurs.
C’est tout de même avec plaisir qu’on se laisse transporter par ces cinq femmes et leur désir d’une vie meilleure.
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- Théâtre d'Aujourd'hui
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