Casse-Noisette à la salle Wilfrid-Pelletier | Soixante ans de féerie partagée
Chaque décembre, la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts se transforme en royaume de neige et de sucre d’orge. Casse-Noisette des Grands Ballets Canadiens revient illuminer le temps des Fêtes, porté par la musique intemporelle de Piotr Ilitch Tchaïkovski et la chorégraphie emblématique de Fernand Nault. Présentée du 12 au 30 décembre 2025, cette édition marque un jalon important : soixante ans de représentations d’un même spectacle.
S’il continue d’attirer un public fidèle et intergénérationnel, c’est d’abord parce que Casse-Noisette remplit pleinement sa promesse : offrir un ballet festif, accessible et rassembleur. Soixante ans plus tard, l’œuvre demeure inchangée — un cas unique dans l’histoire de la danse — et continue de séduire, année après année, des générations de spectateurs et de spectatrices. Cette dimension de transmission constitue l’une des grandes forces de la production, tout en révélant les questions que soulève une fidélité aussi intacte à son héritage.
L’émerveillement visuel et sonore
Le charme de Casse-Noisette réside dans son univers visuel. Les décors, signés Peter Horne, transportent le public dans des tableaux d’un raffinement intemporel. La forêt enchantée, illuminée de flocons scintillants, et le Royaume des friandises, dominé par des tonalités roses et dorées, déploient une esthétique onirique. Les costumes, reconnaissables entre mille — tutus pastel, habits militaires étincelants et souris géantes aux visages goguenards — composent un univers cohérent, immédiatement évocateur de l’esprit de Noël.
L’Orchestre des Grands Ballets Canadiens, dirigé par Jean-Claude Picard, restitue à la partition de Tchaïkovski toute sa richesse émotionnelle. Oscillant entre douceur mélodique et élans triomphants, la musique enveloppe la scène et participe pleinement à l’enchantement de l’ensemble. Certaines pages musicales, notamment la Valse des flocons et le Grand pas de deux final, atteignent un équilibre remarquable entre précision technique et expressivité, offrant au public de véritables moments de grâce.
Un premier acte inégal, entre foisonnement et longueur
Dès les premiers instants, la promesse d’un ballet festif et accessible est tenue. La scénographie évoque avec précision l’intérieur bourgeois de la famille von Stahlbaum : la fête de Noël, l’arrivée de Drosselmeyer, les cadeaux, la jalousie enfantine et l’irruption de la magie nocturne. Ce premier tableau, foisonnant, installe l’univers narratif d’un conte bien connu, celui d’une petite fille emportée dans le rêve d’un Noël enchanté.
Toutefois, la profusion de mouvements et de personnages sur scène — près de 35 danseurs et danseuses et 80 enfants — tend parfois à diluer la tension dramatique. Le prologue et l’Acte I multiplient les entrées et les transitions, au détriment du rythme narratif. Le jeu théâtral domine alors la danse, créant par moments une impression de statisme. La bataille entre les soldats de plomb et les rats, pourtant moment charnière du récit, séduit davantage par son efficacité visuelle que par sa force chorégraphique. La direction artistique conserve néanmoins une lisibilité appréciable, ce qui en fait un spectacle particulièrement adapté pour initier les plus jeunes à l’univers du ballet.
La transition vers le Royaume des neiges marque un véritable changement de souffle. La Valse des flocons, plus épurée et résolument dansée, permet au ballet classique de s’imposer pleinement et offre un premier moment de cohérence chorégraphique.
L’envol du second acte
C’est dans l’Acte II que l’ensemble trouve son souffle et sa pleine cohérence chorégraphique. Le passage vers le Royaume des friandises marque une rupture : place à la danse pure, aux variations colorées et aux rythmes contrastés. La succession de numéros — danse espagnole, arabe, chinoise, russe et française — permet à la compagnie d’afficher la diversité de son répertoire et la virtuosité de ses interprètes.
La Danse arabe, en particulier, capte l’attention. La fluidité du mouvement, accentuée par l’utilisation d’un voile, confère à ce tableau une intensité presque hypnotique. La Valse des fleurs et le pas de deux final de la Fée Dragée et du Prince Orgeat concluent l’ensemble avec une rigueur classique et une beauté plastique indiscutable. À ce stade, la danse prend véritablement le pas sur la narration : la technique et la cohésion du corps de ballet offrent au public le ravissement attendu.
La force d’une tradition… et ses limites
Si cette fidélité à la tradition fait partie du charme de Casse-Noisette, elle met aussi en lumière la difficulté de faire évoluer un classique sans en altérer l’essence. La production demeure volontairement ancrée dans une esthétique héritée des années 1960 : décors peints à la main, silhouettes uniformes, gestuelle codifiée. Ce choix assumé confère au ballet une dimension patrimoniale, tout en soulignant un certain décalage avec les sensibilités contemporaines.
Alors que plusieurs compagnies internationales revisitent Casse-Noisette à travers des prismes variés — inclusion, modernité visuelle ou relecture culturelle —, les Grands Ballets Canadiens préfèrent préserver l’œuvre dans sa forme originale. Ce parti pris, à la fois conservateur et empreint de tendresse, fait du ballet un héritage vivant et le reflet de ce que le public montréalais semble vouloir retrouver chaque hiver : une continuité, un souvenir d’enfance. Cette fidélité soulève toutefois une interrogation latente : jusqu’où peut-on reconduire les mêmes ressorts narratifs et visuels sans envisager une évolution capable de dialoguer avec les sensibilités actuelles ?
Un spectacle-héritage, indémodable et rassembleur
Malgré certaines réserves, l’enchantement demeure intact. Casse-Noisette conserve ce pouvoir rare d’inscrire la danse au cœur des traditions montréalaises du mois de décembre. Plus qu’un simple ballet, il reste un rendez-vous annuel attendu et partagé, où la musique, l’imaginaire et la nostalgie rassemblent un public fidèle, année après année. Pensée comme une première porte d’entrée vers la danse et les arts vivants, notamment pour les enfants, la production remplit pleinement sa mission. Chaque tableau, relativement bref et riche en actions, capte l’attention des plus jeunes sans rompre l’élan du récit.
Au-delà des lectures possibles, la salle comble et les applaudissements répétés, portés notamment par les familles des enfants présents sur scène, rappellent qu’il s’agit moins d’un objet d’innovation que d’un rituel hivernal. Soixante ans après sa création, Casse-Noisette des Grands Ballets Canadiens conserve ainsi son pouvoir fédérateur et confirme sa place parmi les traditions culturelles les plus aimées de Montréal, symbole durable d’émerveillement et de transmission.
- Artiste(s)
- Casse-Noisette
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Salle Wilfrid-Pelletier
- Catégorie(s)
- Ballet, Classique,
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