Michel Fugain

Entrevue avec Michel Fugain | Éternel arlequin

Michel Fugain se produira non pas une, ni deux, ni trois, mais bien 10 fois à la Cinquième salle de la Place des Arts au printemps! La légende de la chanson française est en pleine tournée médiatique pour promouvoir son nouveau spectacle, qui sera d’abord présenté l’année prochaine aux quatre coins du Québec avant de s’envoler, comme un oiseau qui vit d’air pur et d’eau fraîche, vers l’Europe.

Les chansons du Big Bazar passaient régulièrement dans mon foyer quand j’étais jeune. Et probablement qu’elles passaient beaucoup dans le vôtre aussi. Plus de 50 ans après avoir été écrites. C’est ça, la force de la chanson française. C’est une génération d’artistes diablement intemporelle.

Une première question : pourquoi avoir décidé de faire 10 représentations à la Cinquième salle, à la place de jouer dans la simplicité et d’en faire peut-être une, deux, ou trois à la salle Wilfrid-Pelletier? « C’est la production qui a décidé ça, mais ils savent que je n’aime pas les grandes salles », répond-il.

Je veux voir les gens, je veux voir les yeux, je veux voir les êtres humains qui sont devant moi.

« Pourvoyeur de sentiments»

Fugain, il se nourrit de sourires. Encore aujourd’hui, à 83 ans, 60 ans après le début de sa carrière. Il se définit comme un arlequin, « un descendant très lointain du théâtre italien, de la commedia dell’arte ». Un personnage comique, qui sait à la fois chanter, jouer la comédie et danser pour divertir. Mais il se définit avant tout comme un chanteur du peuple. « On est des intermédiaires entre des émotions et les gens. On est des pourvoyeurs de sentiments, que ce soit une envie de danser ou un serrage de cœur. C’est un privilège total. »

Michel Fugain voit chaque artiste comme le reflet d’une portion de la population. Brassens est le miroir des poètes, Gainsbourg, la tranche provocatrice de la personne. Lui inspire des sentiments tout autres : « Moi, on m’a collé ”Fugain La Fête”. Pendant un moment ça m’a emmerdé, car j’ai fait des chansons différentes. Mais après tout, être répertorié comme un mec qui est festif, qui a la banane, ça me va très bien! »

Fugain développe sur son nouveau concert présenté l’année prochaine, dont le nom définitif n’a pas encore été choisi par lui et son équipe. « On va arriver avec un spectacle tout neuf, et je ne sais pas exactement ce qu’il en est encore, car il va être concocté par Claude Larivée, et c’est un peu la surprise du chef en ce qui me concerne. Je sais que Claude est un formidable réalisateur, un mec qui est bourré d’idées. Je vois la collaboration avec très grand plaisir! » Claude Larivée, imprésario des Cowboys Fringants, est derrière la mise en scène de projets comme Pub royal ou Robert en CharleboisScope.

Esprit d’équipe

Michel Fugain a accumulé ses plus grands succès avec le Big Bazar, une troupe de joyeux lurons colorés synthétisant à merveille l’esprit hippie dans la francophonie. Le Big Bazar n’a duré que cinq petites années, et l’aventure s’est terminée vers la fin de 1976. Pourtant, l’esprit d’équipe et de camaraderie perdure chez Fugain depuis, l’artiste n’hésitant pas à mettre chaque personne qui a participé à l’élaboration d’un spectacle de l’avant.

« Il y a des artistes qui sont tellement auto-centrés que, pour eux, il n’y a qu’eux qui comptent. Mais ce n’est pas vrai. Quand on est normal dans ce métier, on sait tout ce qu’on doit aux techniciens, aux mecs qui font l’éclairage, aux mecs qui font le son. Et bien sûr, évidemment, on sait tout ce qu’on doit à ceux avec qui on partage la scène, c’est-à-dire les musiciens. C’est une bande, on est une bande qui travaille, et eux travaillent plus que nous, dans l’absolu, avoue Fugain en riant. Il y a un moment où il faut leur dire merci, il faut saluer leur boulot. »

Ce ne sont pas des paroles lancées en l’air, du tout. Après avoir vu Michel Fugain pour son spectacle Michel Fugain fait Bandapart il y a deux ans, le chanteur français a fait monter toute son équipe de tournée sur la scène du Théâtre Maisonneuve. La majorité des interprètes remercient les techniciens pour leur valeureux travail, ils les nomment parfois. Mais Fugain, lui, ils les fait monter sur scène. Les applaudissements qu’il reçoit à la fin d’une performance sont partagés.

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J’ai entendu toutes sortes d’histoires sur Michel Fugain. De la part de ma famille, d’amis, de collègues. Apparemment, il se serait aigri à travers les années. Le Michel Fugain souriant du Big Bazar se serait fait remplacer par un Michel Fugain mal commode, grincheux, un peu à la Sardou. Eh bien je vous affirme que ces rumeurs sont fausses. Devant moi se dressait un homme terre à terre, humble, avec une compréhension lucide de notre réalité en 2025. Peut-être ne se reconnaît-il plus dans le monde d’aujourd’hui, ce monde qu’il qualifie sans gêne de « Big Bazar ». Mais malgré tout, la pêche, il l’a gardée. Fugain, dans les travers de notre époque, s’attaque notamment fermement aux dangers que fait planer l’intelligence artificielle sur notre culture.

« Votre génération, vous risquez d’avoir, au bout du compte, l’intelligence artificielle qui vous fera de la musique d’ascenseur, sans aucune valeur artistique. Vous allez avoir un désert, un désert émotionnel, dit Michel Fugain. Parce que l’intelligence artificielle, elle ne peut pas avoir d’émotions, et elle ne peut pas vous procurer d’émotions. Elle n’a jamais pris une fessée, elle n’a jamais été cocue, elle n’a jamais eu de problèmes dans sa vie. Elle ne sait pas ce que c’est. Même si tu fais une chanson gaie, derrière, s’il y a une fêlure, elle est là. On la sent. »

Difficile de le contredire. Surtout après avoir fréquenté, et simplement fait partie d’une génération de chanteurs se tuant à la tâche, faisant paraître des morceaux après des dizaines d’heures de travail et de sueur.

Après 45 minutes, ma discussion avec Michel Fugain prend fin. Je lui serre la pince, et je quitte notre lieu d’entrevue. Dans le casque retentit Fais comme l’oiseau, alors que je me dirige vers le métro. J’écoute les paroles. Effectivement, je me demande pourquoi on s’impose tous ça : vivre dans la fureur et dans le bruit. On pourrait faire plus simple.

Michel Fugain se produira, du 31 mars au 25 avril 2026, à 10 reprises dans la Cinquième salle. Vous pouvez vous procurer un billet pour l’une de ses performances juste ici. Vous pouvez aussi consulter le reste des dates de sa tournée printanière au Québec juste ici.

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