crédit photo: Pierre Langlois
Arcade Fire

Arcade Fire à l’Olympia | La parole aux fans pris entre l’arbre et l’écorce

« Il faudra d’abord se débarasser de ce sentiment de honte pour les fans pris entre l’arbre et l’écorce, si on souhaite que la conversation demeure ouverte et que la réflexion complexe fasse son chemin. De toute façon, il ne reste plus assez d’espace sous le proverbial tapis pour continuer à empiler les artistes dont la masculinité défectueuse est exposée au grand jour. Tôt ou tard, nous devrons faire l’effort de trouver mieux, sans pour autant diminuer l’impact des dénonciations qui font avancer notre société. »

Voici comment se concluait notre critique du dernier spectacle d’Arcade Fire au Centre Bell, en décembre 2022, au coeur de la tempête qui ébranlait le groupe et sa communauté de fans en raison des accusations d’inconduite sexuelle à l’endroit du chanteur Win Butler.

À l’époque, la tournée avait été annoncée avant que tout sorte. Les adeptes avaient acheté leurs billets et ne pouvaient pas obtenir remboursement. Le Centre Bell accueillait quelques 10 500 fans, beaucoup moins qu’à Osheaga quatre mois plus tôt (avant l’annonce des dénonciations).

* Arcade Fire au Centre Bell en 2022. Photo par Marc-André Mongrain.

Deux ans et demi sont passés depuis. Arcade Fire effectue son retour avec un nouvel album intitulé Pink Elephant, à un moment où le proverbial tapis est en train de lever, avec des artistes canceled qui sortent de leur planque pas mal tous en même temps, on dirait. Les programmations des festivals et des salles de spectacles en contiennent plusieurs. La « réflexion complexe » a eu le temps de se faire, mais en sommes-nous réellement arrivés à une conclusion rassurante?

Qu’importe, une série de spectacles d’Arcade Fire a été annoncée à la dernière minute dans des plus petits lieux que d’habitude, afin de présenter en intégral le contenu du nouvel album qui sera disponible le 9 mai prochain.

À Montréal, c’est à l’Olympia que ça se passait mardi soir. Et à nouveau ce soir (mercredi 30 avril). Deux Olympias bien pleins, bien qu’on pouvait trouver des billets à rabais sur les sites de revente hier en après-midi, et à nouveau au moment de rédiger ces lignes en vue du show de ce soir.

« T’as pas peur que ce soit la fois de trop? », demandais-je il y a quelques jours à Nadine Mathurin, une amie qui comptait y aller, elle qui en serait à son 18e spectacle d’Arcade Fire, dans plusieurs pays, festivals, salles, contextes. « Je pense que j’ai besoin d’une fois de trop pour pouvoir passer à autre chose… », me confiait-elle.

Elle y est allée.

Parallèlelement, notre photographe Pierre Langlois nous demandait de couvrir le spectacle pour Sors-tu?  Grand fan du groupe sur disque, il ne les avait encore jamais vus en spectacles, pour diverses raisons.

Ballon d’essai

Cette série de spectacles donne l’impression d’un ballon d’essai. Surtout à Montréal. Avant de lancer l’album, d’annoncer une probable grande tournée et d’officialiser encore un peu plus leur retour en grande pompe – ils seront à Saturday Night Live le 10 mai –, aussi bien voir comment le public réagit à leur retour d’abord et avant tout.

Ça vaut pour les spectateurs aussi.

« On sentait que les fans évaluaient la température de l’eau. Est-ce que je saute dans la piscine ou j’accepte le confort du mi-mollet? », illustre Vincent Morin, 30 ans, qui a découvert Arcade Fire au secondaire avec The Suburbs. C’était la quatrième fois qu’il les voyait en spectacle, la deuxième post-allégations. « J’ai accepté de me baigner, mais la piscine était à moitié remplie. Y’avait un bouchon dans l’escalier à mi-mollet, », poursuit-il dans son analogie très estivale.

« On dirait que dans la vie, soit que tu es pour la réhabilitation ou la peine de mort. Mais hier, j’étais vraiment en mode peine de mort ! », explique Nadine Mathurin. « Parce qu’en fait, au Centre Bell (en 2022), quand les accusations étaient sorties, on dirait que je m’étais mise en mode : là, OK, je donne tout ce que je peux, je danse ma vie… Puis hier, je me sentais plus coupable d’y aller. Mais j’avais comme besoin de cette confrontation-là. »

Elle admet aussi avoir eu l’impression d’être parmi les rares à se sentir ainsi.

Pur hasard peut-être, mais les trois autres personnes que j’ai sondées à ce sujet et qui étaient au spectacle mardi soir sont tous des hommes et tendent à donner un peu raison à Nadine. « Mon état d’esprit ? La curiosité. J’avoue que je croyais que les allégations étaient tombées puisque, d’habitude, les carrières se terminent brutalement », m’expliquait notre photographe Pierre Langlois.

Mathieu Romero, ancien collaborateur de Sors-tu? qui suit Arcade Fire « depuis 2004 à la Sala Rossa » et estime les avoir vus en show entre 10 et 15 fois, admet être parfaitement à l’aise. « Je dissocie musique et problèmes personnels donc 100% à l’aise. »

Patrick Dion, qui soufflera cette semaine 57 bougies, et qui connaît le groupe depuis 2003 en plus de les avoir vus 4 ou 5 fois admet aussi avoir réussi à retrouver le plaisir d’un spectacle d’Arcade Fire.  « J’allais là l’esprit et le coeur ouverts, curieux d’entendre le nouvel album et sans amertume du passé parce que, de un, je crois à la réhabilitation et de deux, l’incident est clos sans qu’il y ait d’autres développements ou accusations dans l’histoire ».

Geneviève Lavigne, elle, se rendra au spectacle de ce soir. Elle ne comptait pas y aller, mais s’est fait offrir un billet par le biais d’un contact.  Je l’avais rencontrée en 2013 dans la file d’attente du fameux spectacle secret costumé à la Salsathèque. Son enthousiasme envers le band était, à l’époque, à toute épreuve.  « Je suis justement en train de m’imaginer d’où je vais vouloir regarder le show. Au parterre avec la foule de fans? En mode coude accoté au bar, drink à la main et prête à déguerpir rapidement? », admet-elle.

Pour des raisons morales, oui, mais aussi « pour la simple raison que j’ai semi-écouté leur musique après Everything Now. Et je trouve que leur art est devenu redondant. Les costumes, leur brand… c’est un peu 2013 et j’ai décroché. Mais bon, je suis curieuse et j’aime beaucoup la majorité de leur oeuvre. »

On s’y rend, à reculons ou l’esprit tranquille, ou on s’abstient… à reculons ou l’esprit tranquille! Bref, ce n’est pas un concert comme tous les autres : la conscience est mise à rude épreuve. Et c’est peut-être bon signe…

I reached out to you
Like you knew that I would
Like you knew that I would
It’s a season of change
And if you feel strange
It’s probably good

Arcade Fire, Year of the Snake

Le spectacle

Si le visuel et l’esthétique du nouvel album pouvaient laisser sous-entendre que Win Butler se positionne en victime de la méchante cancel culture ou manque de respect à l’égard des victimes en n’abordant pas du tout, ahum, l’éléphant (rose) dans la pièce – rappelons que le concept d’éléphants roses réfère au paradoxe selon lequel plus vous essayez de supprimer une pensée, plus elle devient grande et intense  –, l’impression de Nadine à l’égard des nouvelles chansons à la lumière de ce qui a été présenté à l’Olympia donne un autre son de cloche. On verra quand l’album sortira, afin de pouvoir en analyser les thèmes abordés (ce qui n’est pas aussi évident en spectacle), mais il y a raison de croire que Win ait exploité l’angle de la réparation de son mariage avec Régine.

Nadine note que, contrairement à ses habitudes, Régine semble s’approprier davantage les devants de la scène. « Ils ont un seul pied de micro pour leurs deux micros, donc Régine, durant toute la première partie, était à l’avant avec Win. J’avais jamais vu ça de ma vie. »  Elle y voit même, au tout début du spectacle, une possible forme de protection. Une façon de ne pas laisser Win seul à l’avant-plan, alors qu’on ne sait trop quel jugement le public lui réservera.

« Ils font clairement usage à un code nuptial dans leur esthétique. Win n’arrête pas de lancer des bouquets de fleurs dans la foule, tout le long du show. Au lieu d’une boule disco accrochée au plafond, c’est un cœur de vitre brisé. Ça aussi, c’est une signification dans l’iconographie du mariage, comme quoi ton mariage va survivre à un cœur brisé. »  Des gros nuages sombres planent au-dessus de la tête du groupe.

Le vidéoclip de Cars and Telephones, chanson qui ne figurera pas sur l’album et dont le vidéoclip est disponible exclusivement sur l’application Circle of Trust lancée par le groupe, montre également ce qui semble être un voyage de noce très modeste, avec beaucoup d’images d’archive du couple dans leurs jeunes années. Encore une fois, l’image du couple qui renoue, malgré les dégâts.

La première moitié du spectacle était entièrement dédiée à l’interprétation en intégral du nouvel album. « On sentait que le groupe travaillait particulièrement fort pour aller chercher le monde ».

Après un bref entracte, la formation a interprété une sélection de chansons tirées de tous ses albums de The Suburbs à Keep the Car Running, en passant par Rebellion (Lies), Afterlife, Everything Now et Age of Anxiety II (Rabbit Hole).

Malgré les départs de Will Butler il y a quelques années – avant le scandale de 2022 –, la formation semble avoir survécu à la tourmente. Win Butler et Régine Chassagne sont entourés du même batteur et du même bassiste, Jeremy Gara et Tim Kingsbury respectivement. La violoniste Sarah Neufeld est toujours à bord, tout comme le chanteur-guitariste de Wolf Parade, Dan Boeckner, ajout récent, et Paul Beaubrun. Le bon vieux comparse Richard Reed Parry fait toujours partie du groupe, mais s’absentera de la tournée afin de vivre un congé parental. Puisque le spectacle avait lieu dans sa ville, il s’est tout de même pointé pour l’interprétation de Wake Up au rappel.

Toutes les personnes que nous avons sondées sont d’accord pour dire que l’enthousiasme était sans réserve lors de la deuxième partie.

Sans doute, quelques femmes dans la salle se gardait une petite réserve. C’est le cas de Nadine. « Mais le pire, c’est que je suis plus fâchée contre moi-même de ne pas avoir réussi à juste abandonner ça. J’aurais aimé mettre ça de côté puis avoir du fun hier. C’est pour ça que je me disais que j’étais comme en mode vengeance un peu. »

Elle conclut avec cette analogie très à-propos : « C’est un peu comme quand tu recouches avec ton ex : je suis pas prête à dire que c’est fini, mais c’était plus comme c’était… » Elle croit toutefois que le concert pourrait être le premier pas vers une certaine réconciliation avec le band. « Un peu comme l’analogie du coeur de verre brisé qui survit. C’est un peu de même que je me sens… »

Grille de chansons

Première partie : Pink Elephant

Open Your Heart or Die Trying
Pink Elephant
Year of the Snake
Circle of Trust
Alien Nation
Beyond Salvation
Ride or Die
I Love Her Shadow
She Cries Diamond Rain
Stuck in My Head

Deuxième partie : les hits

The Suburbs
The Suburbs (Continued)
Ready to Start
Rebellion (Lies)
Keep the Car Running
Age of Anxiety II (Rabbit Hole)
Afterlife
Sprawl II (Mountains Beyond Mountains)
Everything Now
Wake Up

 

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