Tom Morello au Théâtre Beanfield | Plus d’histoires que de musique

Tom Morello, guitariste des légendaires Rage Against the Machine, se produisait au Théâtre Beanfield ce samedi soir dans le cadre de sa tournée A Night of Stories & Music. Loin de l’électricité des performances de son mythique groupe, le spectacle de Morello se rapprochait plus d’une conférence TED que d’un show de musique. Une soirée typiquement construite pour en apprendre plus sur l’homme derrière l’artiste.

Le Théâtre Beanfield est plein ce soir. Logique, le spectacle affichait sold-out. Mais avec la grève complète de la STM ce 1er novembre, première en 38 ans, rendant l’accès plus compliqué à une salle quelque peu éloignée comme le Beanfield, on aurait pu en penser autrement. Et puis, l’appel du baseball n’était visiblement pas plus fort que celui de la musique. Tous ces fans des Blue Jays qui suivent religieusement cette équipe depuis trois semaines sans avoir regardé une moindre partie avant octobre n’auront pas pu voir un bon morceau du septième et dernier match des séries mondiales. C’est fini maintenant, ils ont perdu. Fini de vous improviser fins connaisseurs de la MLB. Vous allez arrêter de faire semblant alors?

Morello ouvre son spectacle avec Keep Going, puis prend le micro pour entamer la portion conférence de son spectacle. Et cette portion, elle prendra beaucoup de place tout au long de la soirée. Surtout dans son premier set. Au pif, j’irais avec 2/3 d’histoires, et 1/3 de musique.

Ses anecdotes sont franchement intéressantes. Il raconte la création d’un journal étudiant militant à 16 ans, qui écoulait plus de tirages que le journal officiel de son high school. Il explique aussi que, 24 heures après avoir reçu son premier album en cassette, Never Mind the Bollocks, Here’s the Sex Pistols, il formait son premier groupe, inconnu du bataillon. Morello nous partage également l’expérience de son premier concert avec Rage Against the Machine. À l’époque, ils n’avaient composé que cinq chansons, et à la fin de ce premier spectacle, les gens étaient tellement fous, ils en demandaient tellement plus… que RATM a rejoué les cinq mêmes chansons! Ayant vécu beaucoup de racisme à ses débuts, mais ayant terminé au sommet, Tom Morello, moitié Kenyan, moitié Américain, est une belle source d’inspiration moderne pour n’importe quel Afro-Américain voulant débuter dans le rock.

Morello a derrière lui quatre guitares : deux électriques, deux acoustiques. Entre ses prises de parole, il en empoigne une et livre des chansons, entre reprises et matériel solo. Quatre des 13 morceaux joués ce soir viendront de The Nightwatchman, son projet folk très politique qu’il a lancé au début des années 2000 alors qu’il trouvait la musique d’Audioslave trop neutre. Il compare le début de sa carrière en solo acoustique à un anti-Dylan à Newport, ses fans aussi s’étant rebellés contre ce choix de carrière audacieux. Morello raconte pourtant comment il se sent encore plus compris en jouant du folk, à condition que le public soit ouvert à ce changement de direction musicale.

Personnellement, The Nightwatchman ne m’a pas touché plus que ça. Le folk a emprunté de plus belles avenues, beaucoup plus aventureuses et risquées, avec des projets comme Fleet Foxes ou Sufjan Stevens. Le style est en constante évolution, et rien ne sert à faire du protest song quand ça a été fait il y a 60 ans, et beaucoup mieux. Tom Morello excelle dans le rock alternatif, dans les techniques expérimentales à la guitare, c’est l’un des meilleurs guitaristes de son époque. Mais ce n’est pas car il prend un risque en proposant une musique toute nouvelle qu’il faut forcément l’applaudir pour ça. C’est comme quand André 3000 s’est tourné vers la flûte pour New Blue Sun. C’était correct, mais ce n’était pas extraordinaire non plus.

Beau segment du concert quand Tom Morello s’attarde à sa période Audioslave, supergroupe formé avec Chris Cornell, notamment. Morello a une grande admiration pour le chanteur de Soundgarden, ça se voit, et il lui rend un joli hommage à travers The Garden of Gethsemane, une chanson qu’il a écrite pour lui dans les moments les plus sombres de Cornell.

Autre beau segment à dénoter quand Tom Morello parle de sa relation avec Bruce Springsteen. Il nous apprend qu’il était autrefois, avant sa carrière, abonné à un fanzine sur le Boss, et que c’est son seul ami qui peut se targuer d’un tel compliment! Le guitariste raconte ses débuts dans le E Street Band, vers 2014, ses longs spectacles avec Springsteen, avant d’entamer une bien belle reprise de The Ghost of Tom Joad. Morello invitera d’ailleurs plus tard dans la soirée le Montréalais Jake Clemons, neveu du légendaire saxophoniste Clarence Clemons, pour jouer avec lui la dernière chanson du spectacle, en restant dans l’univers du Boss.

Entre deux morceaux, Tom Morello liste également les nombreux artistes avec qui il a enregistré des chansons, allant de Paul McCartney à Yo-Yo Ma, en passant par Chuck Berry, Alanis Morissette ou encore Ozzy Osbourne.

Petit moment de malaise pour ma part quand, encore dans son segment conférence, Tom Morello invite chaque personne du public à défier la justice. Il dit que faire la bonne chose n’est pas forcément respecter la loi, en prenant l’exemple d’Anne Frank : les gens qui l’ont cachée enfreignaient la loi; ceux qui l’ont tuée l’ont suivie. L’exemple est quand même fort isolé, et l’appel à l’extrême, à l’anarchie, n’est d’après moi pratiquement jamais une bonne chose. Mais bon, c’est Tom Morello, l’un des artistes les plus militants et vocaux de la planète, et ce n’est pas étonnant qu’il tienne des discours de la sorte.

« Fuck you, I won’t do what you tell me ». Rien qu’avec ces mots prononcés à la fin de l’une de ses dernières interventions de la soirée, le public sait dans quoi il va s’embarquer. Morello empoigne sa guitare électrique et livre une version quasi instrumentale de Killing in the Name, laissant le Théâtre Beanfield se charger de la partie chantée de Zack de la Rocha. Tom Morello enchaîne sans tarder sur Power to the People, de John Lennon, avant de clôturer le spectacle sur This Land Is Your Land, hymne antifasciste folk signé Woody Guthrie, accompagné de Jake Clemons. Cet enchaînement de trois chansons est certainement le segment le plus agréable de la soirée, le segment se rapprochant le plus d’un concert rock.

En somme, un spectacle sympathique, un peu fade par moments quand même, surtout destiné aux grands fans de Rage Against the Machine voulant en apprendre plus sur son guitariste.