Théâtre Denise-Pelletier

Saison 2018-19 du Théâtre Denise-Pelletier | 14 productions de Rabelais à Tremblay en passant par Bergman et Ibsen

Le plus grand de tous les directeurs artistiques des théâtres montréalais, Claude Poissant (il mesure 6 pieds et 2 pouces et demi), vient d’annoncer la programmation de la 55e saison du Théâtre Denise-Pelletier (TDP) qui, depuis les belles années de la NCT, s’adresse à un public scolaire autant qu’adulte. Une double mission donc, « entre art et éducation », qui donne la chance aux jeunes de s’initier au théâtre en se mesurant à des productions qui sont en même temps assez solides pour attirer le grand public. Et ça marche!

« Une saison 18-19 exceptionnelle! », disait d’emblée Claude Poissant, pour la raison que les quatre spectacles de la grande salle (qui devrait porter le nom de Salle Gilles-Pelletier, co-fondateur de la NCT, plutôt que de nous retrouver comme maintenant avec la Salle Denise-Pelletier du Théâtre Denise-Pelletier), seront tous des productions maison, signe que les choses vont bien.

La saison prochaine s’ouvrira dans la démesure gargantuesque du ventre du géant Pantagruel, l’ogre dépourvu de bonnes manières créé avec beaucoup d’audace libératrice par le terrible François Rabelais il y a tout juste 500 ans. Le texte et l’adaptation qu’en offrira le TDP sont signés Gabriel Plante (prix Gratien-Gélinas 2016), un passionné de Rabelais, sous le titre aussi indigeste que possible de Prouesses et épouvantables digestions du redouté Pantagruel. Il s’agit d’une xième version pour ce texte que Poissant définit comme « un parcours au long cours » des plus prometteurs.

Le metteur en scène montant, Philippe Cyr (Le brasier et J’aime Hydro) dirigera « dans un grand élan de liberté » les quatre comédiens malléables que sont Paul Ahmarani, Nathalie Claude, Renaud Lacelle-Bourdon et Cynthia Wu-Maheux. À noter: les costumes sont conçus par la débordante Elen Ewing, celle-là même qui habille en ce moment L’Idiot de Dostoïevski au TNM avec une belle folie créatrice.

Suivra en novembre Bonjour, là, bonjour, le tout premier Michel Tremblay que Claude Poissant mettra en scène. Créée en 1974 dans la mise en scène d’André Brassard, et reprise plus tard par Brigitte Haentjens, la pièce n’a pas été jouée à Montréal depuis exactement 20 ans. Dans cette œuvre chorale en 31 tableaux, où se heurtent tendresse et cruauté toute familiale, le grand comédien Gilles Renaud reprendra 44 ans plus tard le même rôle du père qu’il jouait à la création de la pièce.

« Attachante, fatiquante, cruelle, la famille de Serge et Nicole me trouble », a déclaré Claude Poissant dans la brochure de saison à propos de « ce tragique portrait dessiné par Tremblay qui m’habite depuis sa création ». Francis Ducharme, Annette Garant et Diane Lavallée sont de la distribution de huit comédiens. Il sera plus qu’intéressant de voir ce que fera Poissant pour cette première aventure en sol tremblayen, lui qui a été le grand révélateur des meilleurs textes de notre autre Tremblay, le dramaturge accompli Larry Tremblay.

Crédit photo Charles Bélisle.

En janvier 2019, c’est vers nul autre que le réputé cinéaste et écrivain suédois Ingmar Bergman que tous les yeux se tourneront pour la pièce Fanny et Alexandre. Le très long film réalisé en 1982 avec sa galerie de 35 personnages, a été adapté pour le théâtre par un tandem de metteurs en scène, Félix-Antoine Boutin et Sophie Cadieux, dirigeant les neuf comédiens de la production, dont un doublé au même théâtre la même saison pour Annette Garant et Renaud Lacelle-Bourdon.

Tout en dichotomie entre vérité et mensonge, largement autobiographique pour ce qui est du personnage d’Alexandre que jouera Gabriel Szabo, « cette histoire si belle est une sorte de jeu de vie et de mort, vu à travers les yeux d’un frère et d’une sœur qui absorbent la réalité comme si c’était du théâtre », écrit encore Poissant.

Puis, au printemps, suivra la traduction de Maryse Warda d’un film culte de Peter Weir réalisé en 1989, adapté ici par le scénariste Tom Schulman pour devenir La Société des poètes disparus. Le metteur en scène et auteur Sébastien David (prix du Gouverneur général 2017) nous ramène dans la prestigieuse Welton Academy en 1959, alors que le très anticonformiste professeur de littérature, Monsieur Keating (joué par Patrice Dubois), pousse ses élèves adolescents à suivre leurs idéaux en osant prendre la parole dans cette Amérique conservatrice, par l’adhésion à un club clandestin composé d’esprits libres mais non moins activistes.

Ce sont donc dix comédiens d’ici, dont Jean-François Casabonne, Stéphane Jacques et Émile Schneider, qui prendront les traits des Todd, Neil, Knox, Charlie, Steven et Richard du film d’origine, dans une scénographie du toujours talentueux Jean Bard.

Du côté maintenant de la Salle Fred-Barry, ainsi nommée pour honorer Frédéric Barry, comédien et directeur de théâtre disparu en 1964, ce ne sont pas moins de 10 spectacles qui seront présentés en 2018-19. Le lieu, à configuration variable, est un couvoir et un révélateur de talents, donnant du travail à des comédiens, metteurs en scène et auteurs émergents qui ne demandent qu’à être découverts. Le directeur artistique disait avoir reçu quelque 80 projets cette année, comme quoi la dramaturgie contemporaine est protéiforme et foisonnante.

Les productions viennent de petites compagnies dont les noms rivalisent d’une originalité toute théâtrale: Collectif de la Renarde, Théâtre les Gens d’en bas, Productions Fil d’or, Chantal & Bernadette, Théâtre Tombé du Ciel, L’Irréductible Petit Peuple, Théâtre français de Toronto, Théâtre la Catapulte, Théâtre à l’eau froide, Théâtre Bouches Décousues, Théâtre Pupulus Mordicus, La Shop Royale, Théâtre Jésus, Shakespeare et Caroline, Théâtre Le Clou, et pour finir, Théâtre jeunesse Les Gros Becs.

Dès le 11 septembre, Benoît Vermeulen mettra en scène une pièce écrite par Marie-Christine Lê-Huu à la mémoire de Pauline Julien, jouée par Catherine Allard qui disait au lancement « J’aime tout d’elle, elle a tout donné ! », et de celle de Gérald Godin par Gabriel Robichaud. Deux musiciens seront également sur scène pour ce partage entre héritage artistique et sens aigu de l’engagement dont le couple, avec ses 35 ans de vie commune, a fait preuve de manière exemplaire. Le très beau titre de la pièce est Je cherche une maison qui vous ressemble.

Suivra La Place rouge, un premier texte de Clara Prévost « tout en délicatesse, jusqu’au silence entre les mots », dit Claude Poissant. La nouvelle auteure jouera aussi dans sa pièce qui trouve ses origines au cœur même de l’œuvre de Tchekhov, et qui sera montée par Isabelle Leblanc avec cinq autres comédiens, dont Rebecca Vachon, et la musicienne Lucie Dubé.

La Convivialité, un texte des deux Belges Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, que mettra en scène un collectif, sera joué par les deux magisters qui ne manqueront pas de malmener à tout venant les règles souvent rébarbatives et astreignantes de l’orthographe de la langue française. Une sorte de « conférence-spectacle pop et iconoclaste » prenant la forme d’ « allumeur de débats » auxquels le public sera invité à prendre part différemment chaque soir. « Nous sommes une langue ! », laisse entendre Claude Poissant.

Temps zéro, un texte de Marc-André Brunet mis en scène par Charles Dauphinais, suivra à Fred-Barry en novembre. Sorte de « road movie théâtral », la pièce qui s’adresse directement aux ados, vient attiser les douleurs vives d’une première rupture amoureuse et la fuite aveugle en avant. La ligne entre l’anarchie, la transgression et l’émancipation s’avère très mince.

Encore ici, l’auteur fait partie de la distribution, mais c’est Joakim Robillard qui jouera dans sa spirale d’autodestruction le jeune fugueur blessé par l’échec de son premier amour chèrement perdu.

Avant l’archipel, un texte de la dramaturge Emily Pearlman mis en scène par Joël Beddows, rejoindra davantage les pré-ados, dont on ne soupçonne pas toujours qu’ils soient obnubilés par les manifestations dans l’absolu de leurs premiers émois amoureux.

Un conte drôle, mais tragique, joué par André Robillard en tandem avec Danielle Le Saux-Farmer qui a fait la traduction de cette pièce où le personnage de Lénaïque la Magnifique tombe sous le charme de Brévalaire Spectaculaire. Entre comédie, chanson et improvisation, le spectacle fera appel là aussi à la participation du public.

Suivront Les Coleman-Millaire-Fortin-Campbell, une pièce de l’auteur argentin Claudio Tolcachir. Traduite et adaptée par Catherine Beauchemin qui jouera aussi, mise en scène par Louis-Karl Tremblay, la pièce relate les tensions boguantes au quotidien entre trois générations vivant sous le même toit (surtout quand l’eau chaude vient à manquer). Claude Poissant s’est dit « très touché de retrouver Muriel Dutil » dans cette distribution de huit acteurs moins connus, pour lesquels la grande et trop rare comédienne ne manquera pas de devenir en coulisses la maman de tous.

Crédit photo Charles Bélisle.

En février 2019, la prolifique auteure jeunesse Jasmine Dubé partagera avec Pierre Robitaille la mise en scène de Lascaux. Une fable poétique où, tombé dans un trou débouchant sur une caverne métaphorique occupée par une tortue géante millénaire, le personnage de Madeleine accouchera de Lascaux, joué par le jeune Jules Ronfard qui pourrait nous surprendre.

Le chef-d’œuvre de Henrik Ibsen, Une maison de poupée, se verra ensuite adapté très librement par Rébecca Déraspe et mis en scène par Benoît Rioux, avec cinq comédiens, dont Kim Despatis. Le texte, datant de 1879, « paraît avoir été écrit aujourd’hui », disait Claude Poissant dans sa présentation.

Une autre curiosité qui met déjà en appétit, est celle de Harmattan – Pour qu’il y ait un début à votre langue, par l’auteur et metteur en scène Steve Gagnon, offrant sa version théâtrale inspirée de deux romans bien connus de Sylvain Trudel, Le souffle de l’harmattan et Du mercure sous la langue. Empruntant la forme du sacré pour exposer la fureur d’une jeunesse en quête de liberté, et les mauvais tours de la mort surtout à 20 ans, la pièce qui revendique « le droit à la désobéissance » réunira huit comédiens, dont Julie McClemens et Daniel Parent.

En fin de saison, reviendra pour une deuxième édition Le Scriptarium 2019 qui a le mérite d’offrir aux adolescents un laboratoire d’écriture, cette fois-ci sur le thème du rêve. Commissaire invité, c’est le comédien Didier Lucien qui supervisera les écrits des jeunes auteurs que mettra en scène Sylvain Scott.

Donc, une programmation ambitieuse au Théâtre Denise-Pelletier qui ne se contente pas d’offrir du divertissement, mais se positionne plus que jamais dans une démarche interactive provoquant la réflexion et l’amour du théâtre.

« Le théâtre est notre raison d’être ! », concluait Claude Poissant, en accordant le mérite qui lui échoit à son nouveau conseiller artistique, Nicolas Gendron, un diplômé de Lionel-Groulx qui s’avère aussi passionné que lui envers le pouvoir si déterminant du théâtre dans nos vies.

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