crédit photo: Marlène G.-Payette
Rires

Rires au Théâtre Espace Libre | De vieilles blagues à l’épreuve des jeunes, ou l’inverse

Même si à première vue, l’écart générationnel frappe, en y pensant un peu, l’idée de Rires, en première mardi soir au théâtre Espace Libre, est géniale. Qui de plus approprié qu’une cohorte d’artistes à peine sorti.es des écoles de théâtre et de l’humour pour passer au peigne fin des textes marquants du registre comique et se demander : a-t-on encore envie de rire?

Alexis Martin et Daniel Brière, codirecteurs artistiques du Nouveau Théâtre Expérimental (NTE), à l’origine d’Espace Libre, semblent s’être bien amusés en concevant Rires. Ensemble, ils ont choisi et collé les textes que leurs interprètes allaient s’approprier, en plus d’assurer la mise en scène.

Et franchement, tout y passe. De l’humour classique de Molière à l’absurde d’Ionesco, en passant par des classiques québécois comme Sol et Gobelet, Ding et Dong et Clémence Desrochers, jusqu’à la LNI et même Saturday Night Live, tout ça sous forme d’une quinzaine de sketches présentés à la façon des défunts Beaux Dimanches : si c’est drôle, ou que ça l’a déjà été, on se lance.

* Photo par Marlène G.-Payette.

« On est des enfants de la télé, Alexis et moi, explique Daniel Brière en entretien avec Sors-tu?. On est allé puiser dans ce qui nous a accompagnés en grandissant. »

Pour ensuite faire le test on ne peut plus actuel de la distance générationnelle, des questions de censure et d’impunité artistique. Qu’allaient penser les sept interprètes vingtenaires de certains gags qui flirtent aujourd’hui dangereusement avec le racisme ou la transphobie?

Les deux metteurs en scène ne se sont pas contentés de lancer les textes à leurs recrues pour voir ce qui s’en dégagerait. « À chaque nouveau texte, on faisait des plénières, on en discutait ensemble pour s’assurer que tout le monde était à l’aise », indique Daniel Brière.

Car il y a parfois eu à faire des ajustements. Un sketch reprend la Lumberjack Song de la troupe humoristique anglaise Monty Python, où un bûcheron révèle qu’il aime bien s’habiller en femme une fois la nuit tombée. Dans la capsule originale, une chorale composée de gendarmes se moque du bûcheron pour finir par le laisser seul. Dans Rires, un des gendarmes (Anne-Sarah Charbonneau) se lie d’amitié avec le bûcheron (Fabrice Girard) pour lui montrer qu’il accepte sa réalité, ce qui n’empêche pas le public d’exploser dans un rire franc.

* Photo par Marlène G.-Payette.

Les goûts humoristiques et opinions des jeunes interprètes sont pourtant loin de représenter un bloc monolithique. « Ça déboulonne le mythe d’une nouvelle génération qui pense tout pareil », réfléchit le codirecteur du NTE. Il explique qu’une partie de l’équipe est calée en humour américain, d’autres pas du tout, tandis que d’autres ont lu des textes d’humour classique pour une première fois en préparation de Rires.

Des jeux de couteaux suisses

Ça n’empêche pas le groupe de livrer les textes avec un aplomb et une précision qui frappe pour un début de carrière. « Du Molière et du Ionesco, c’est pas facile, là », souffle Daniel Brière. Zoé Boudou réussit cependant à ébahir avec son jeu. Impossible de perdre l’attention : son articulation est découpée, son regard est vif. Laurence Laprise (parfaite en Clémence Desrochers) et Caroline Somers se démarquent elles aussi. Elles sautent d’un rôle à l’autre avec aisance et déclenchent l’hilarité à tout coup.

L’humoriste Simon Duchesne en boxeur, numéro de Claude Meunier, du duo québécois Ding et Dong, est un des bijoux de la soirée. Chaque phrase tombe à point, on se tord devant l’attitude niaise du personnage. L’effet du sketch sur le public de l’Espace Libre prouve la prémisse des deux metteurs en scène : certaines blagues parviennent à traverser le temps. Elles continuent aussi à inspirer les cohortes de demain. Simon, par exemple, écrit lui-même du théâtre absurde.

Même si le collage fait par Alexis Martin et Daniel Brière présente certaines niches et demeure moins accessible à un public plus jeune qui n’aurait pas écouté Sol et Gobelet à la télévision, Rires pose des questions d’une actualité flagrante. De façon cyclique, après les codirecteurs et les interprètes, le public s’installe à l’Espace Libre et se demande à son tour : qu’est-ce qui peut encore nous soutirer un rire ou deux?

Les sept interprètes seront de retour sur les planches en 2025 avec une deuxième partie à Rires. Actuellement en pleine construction, le spectacle sera cette fois une pièce de théâtre en bonne et due forme, entièrement écrite par les jeunes artistes, inspirée de textes comiques, et supervisée par Alexis Martin et Daniel Brière.

Rires est présentée à l’Espace Libre jusqu’au 4 mai prochain. Pour vous procurer des billets, c’est ici.

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