Quand Hochelaga fait entrer la lutte dans sa Maison de la culture

Ce soir, vendredi 5 avril, la fédération ICW tiendra son dernier gala de lutte mensuel de la saison hiver-printemps à la Maison de la culture Maisonneuve (MdcM), couronnant ainsi un pari hautement réussi : celui de faire entrer la forme de culture populaire la plus ancrée de son quartier dans son lieu culturel le plus distingué.

La lutte est un merveilleux outil de cohabitation sociale. Ceux qui snobent ça passent à côté de quelque chose d’important.

Joint au téléphone, le maire d’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, Pierre Lessard-Blais, est visiblement fier de son coup. Sans être un fervent amateur de lutte en tant que tel, il se dit « fan des gens de mon quartier et de sa diversité ». Ayant grandi au Lac-Saint-Jean, M. Lessard-Blais a habité différents quartiers à son arrivée à Montréal, avant de choisir Hochelaga comme nouveau chez-soi. « C’est le quartier qui me parlait le plus, celui où tu jasais à l’épicerie. Si tu snobes ton voisin ici, ça passe mal. Je suis fan de cette diversité-là, de cette mixité. J’ai envie que mes enfants grandissent là où tout le monde est différent, mais où tout le monde cohabite et est représenté. »

L’idée d’intégrer des galas de lutte à la programmation de la Maison de la culture Maisonneuve, qui plus est à raison d’une fois par mois durant un an et demi — une régularité qu’aucune autre forme de culture ne peut obtenir avec autant de succès — découle d’une volonté de briser ce qu’il qualifie « d’a priori élitiste » envers les institutions culturelles, et d’y « représenter toutes les sphères de la culture ».

« J’ai envie que tous les gens de mon quartier se sentent représentés dans la Maison de la culture, poursuit-il au bout du fil. Si c’était juste des arts visuels, du jazz et des groupes indies, certains se désaffilieraient de la Maison de la culture, alors que c’est un point de rassemblement. »

Pour bien marquer le coup, lors de l’événement tenu le 9 février dernier, le maire s’est lui-même présenté sur le ring afin de jouer un rôle scénarisé où il annonçait la création d’une éventuelle « ceinture de championnat des Maisons de la culture ».

 

Une tradition vieille de 100 ans

Le maire n’a pas vraiment eu à défendre son idée de présenter de la lutte dans sa Maison de la culture contre vents et marées au sein de son administration. Tout le monde était d’accord. « On a une équipe très ouverte d’esprit, qui a envie de faire de nos installations les plus courues possibles. »

La proposition a effectivement porté fruit. « C’est parmi les événements les plus populaires, voire le plus populaire. On offre 200 billets gratuits par événement, et ça s’envole à chaque fois en moins de 10 minutes! Il y a un réel intérêt dans le quartier pour la lutte, et depuis longtemps. On a retracé un premier article dans La Presse en 1924 qui parle de lutte ici. C’est une tradition très vivante. »

L’arrondissement a signé une entente avec la ICW, la fédération de lutte locale, pour des spectacles de lutte mensuels à la MdcM jusqu’au printemps 2025. Active depuis plus de 30 ans, cette organisation a perdu son domicile habituel, dans le sous-sol de l’Église Très-Saint-Rédempteur (Coin Adam/Joliette), environ un an avant la pandémie.

Non seulement c’est populaire dans le quartier, mais on sent que la lutte a le vent dans les voiles ces temps-ci. Ce dernier gala mensuel de l’ICW pour le printemps survient tout juste quelques heures avant la tenue de l’événement majeur Wrestlemania XL aux États-Unis. Au même moment, le Cinéma Beaubien et plusieurs autres cinémas montréalais projettent le documentaire québécois Celles qui luttent et la TOHU présente, tout le week-end, un spectacle au carrefour du théâtre et du cirque intitulé SLAM!, mis en scène par Robert Lepage.

Interrogé à savoir s’il s’inscrit dans une vague de regain de popularité de la lutte, Pierre Lessard-Blais hésite à se prononcer mais avance : « En tout cas, c’est un art qui se prend pas pour un autre, un art qui est cathartique. Et on a un super allié dans le milieu de la culture avec Robert Lepage. J’espère qu’on aura l’occasion d’aller voir un match dans la Maison de la culture ensemble prochainement! »

Il précise toutefois qu’il ne faut pas s’attendre à une quelconque récupération de la lutte par les élites culturelles. La lutte professionnelle demeure encore et toujours brute, dans tous les sens du terme. « Si tu te dis “je vais aller voir le spectacle de lutte” en dandy, oublie ça! Déjà, il n’y a plus de billets depuis les 10 minutes où on les a mis en réservation! Mais aussi, dans nos spectacles de lutte, l’ambiance demeure rough. Le public envoie promener les lutteurs, les lutteurs envoient promener le public… La dernière fois, un lutteur d’Hochelaga affrontait un lutteur du Plateau, qui était une genre de caricature hautaine qu’on peut s’imaginer. Il méprisait le public. Tout le monde sait que c’est fake, mais c’est fun, c’est plaisant! »

En proposant l’événement gratuitement, la Maison de la culture Maisonneuve s’assure aussi d’attirer un public qui pourrait être, à la base, intimidé par ses installations. « C’est une sortie familiale gratuite, et ça te coûte rien pour sortir deux enfants et deux parents, à condition de s’y prendre d’avance », renchérit le maire, qui espère que d’autres Maisons de la culture d’autres arrondissements embarqueront afin de diversifier le public et qui sait, créer des rivalités entre les arrondissements!

« La ceinture [des Maisons de la culture] sera lancée cet automne. On aimerait qu’il y ait une ou deux autres MdC qui embarqueraient. Imagine un championnat Hochelaga-Verdun ou Hochelaga-Rosemont de la lutte, ce serait formidable! »

Les prochains galas de lutte de l’ICW à la Maison de la culture Maisonneuve s’inscriront dans la programmation culturelle de l’arrondissement, qui devrait sortir vers la fin août. Les billets sont disponibles en ligne et en personne environ deux semaines avant l’événement. On nous précise toutefois qu’il est toujours possible de faire la file environ une heure avant chaque représentation, puisque certains billets gratuits donnent lieu à des sièges vacants, soudainement disponibles à la dernière minute, y compris pour ce soir.