crédit photo: Werner Strouven RHoK
Prophétique (on est déjà né.es)

Prophétiques (on est déjà né.es) au FTA | Danser pour surmonter (et s’éclater)

Il y a toujours quelque chose de particulièrement précieux dans une distribution dont le destin n’est pas à tout prix la scène. Pour mettre la main sur les interprètes de Prophétique (on est déjà né.es), présentée en première nord-américaine au Festival TransAmériques (FTA) mardi soir, la chorégraphe Nadia Beugré n’a eu qu’à faire une chose : assister à un spectacle de drag en 2015 à Abidjan, en Côte d’Ivoire, sa ville natale.

« Quand j’ai vu danser ces femmes trans, leur puissance, leur vision, leur sensualité, leur écoute, c’était évident que j’étais face à des artistes », explique-t-elle en entretien avec le FTA. À ce moment s’est enclenché un long processus artistique dont les danseuses se sont parfois un peu moquées, mais dont les fruits sont ceux du succès, Prophétique (on est déjà né.es) ayant reçu un accueil chaleureux en Europe.

Après le choc causé par L’homme rare, présenté au FTA en 2022, Nadia Beugré a en quelque sorte sécurisé sa place comme faiseuse d’œuvres étincelantes. Mais même sans elle, les six interprètes de Prophétique (on est déjà né.es) auraient sans doute trouvé le moyen de briller. Déjà, la sororité qui les unit, de leur métier de coiffeuse le jour jusqu’à la vie de performance le soir, va même jusqu’à donner l’impression que le public est de trop.

Photo par Werner Strouven RHoK.

Quand on pénètre dans la salle Ludger-Duvernay, au Monument-National, la fête semble avoir commencé il y a longtemps. Les cris et la musique de club se rendent jusqu’aux étages d’en bas et pourraient même faire poindre des regrets à celles et ceux qui ont des billets pour un autre spectacle. Sur scène, un magnifique chaos : à tour de rôle, les interprètes se livrent à des solos décomplexés et assurément pas chorégraphiés, où folie et sensualité rendent la foule en liesse.

L’euphorie de l’entrée en matière fait de la suite un moment encore plus solennel, presque sacré. La salle s’assombrit, la musique cesse, les divas se retirent en fond de scène pour s’installer sur leur trône (chaise en plastique) respectif. Une simple chaise où pourtant tout se produit : leur clientèle qui se fait coiffer, puis elles-mêmes qui se préparent avant de performer, dans un nuage multicolore d’ombre à paupière et de paillettes qui scintillent sous la douce lumière de la mise en scène impeccable. Alors que quelques secondes plus tôt, la foule hurlait, éprise du brouhaha des danseuses, le silence se rompt désormais seulement pour un miroir qui se ferme où une gomme à mâcher qui claque.

Photo par Werner Strouven RHoK.

Ce flottement maîtrisé entre des univers aux antipodes revient plusieurs fois dans la petite heure de Prophétique (on est déjà né.es), et est diablement efficace. Plus tard, l’interprète Acauã Shereya El Bandide profère des insultes homophobes et transphobes pour se les réapproprier à travers la danse quelques instants après. Dans un des rares bris du quatrième mur, une autre raconte son expérience comme femme trans dans une prison pour hommes avant de bifurquer habilement vers l’humour. On se retrouve constamment sur le bout de notre siège, du rire aux larmes, un pied dans le calvaire quotidien que leur identité induit, un autre dans la joie et la folie qui y poussent tout de même.

On présente Prophétique (on est déjà né.es) comme une œuvre de danse, mais ce serait presque réducteur de s’arrêter là. Théâtre, performance et humour s’invitent aussi, pour tisser une toile bigarrée dont le seul fil directeur clair est l’expérience des interprètes comme femmes trans, coiffeuses et performeuses.

La danse est individualisée, la gestuelle et l’énergie varie grandement d’une artiste à l’autre. Pour ouvrir les vannes de leur créativité, Nadia Beugré semble avoir mis de côté les carcans d’une chorégraphie écrite de bout en bout. L’unicité des danseuses fait tomber un mur entre elles et le public : non seulement on a accès à leur personnalité, mais on se retrouve aussi devant la plus belle preuve que les communautés trans sont plurielles.

Prophétique (on est déjà né.es) est en représentation à la salle Ludger-Duvernay du Monument-National ce soir, 29 mai, puis demain, 30 mai. Les billets sont disponibles ici.

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