Plaintes de bruits | Quels avancements depuis le La Tulipe?

Il est 19h30 mardi dernier, le 29 avril 2025. Le bar Blue Dog, institution du boulevard Saint-Laurent partageant ses activités entre salon de barbier de jour et salle de spectacles de nuit, est en plein soundcheck alors que les groupes locaux En Fer et Tempête Solaire se préparent pour un spectacle plus tard en soirée. Qu’à cela ne tienne, malgré l’heure et le contexte, le SPVM fait son entrée pour signaler une plainte formulée par une habitante du voisinage, une deuxième en deux semaines et une quatrième en 2 mois, à l’image de ce qui aura fait fermer le Divan Orange en 2017 (dont l’immeuble est d’ailleurs à nouveau déjà en vente!), puis le La Tulipe en septembre dernier.

Après la levée de boucliers suivant cette dernière fermeture, le maire Luc Rabouin et son équipe annonçaient en grande pompe le dépôt d’une nouvelle mouture du règlement sur le bruit de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal au mois de janvier de cette année. Quatre mois plus tard, toujours aucune trace ; une situation qui en frustre plusieurs, à commencer par l’équipe du Blue Dog et ses voisins.

Oui, ses voisins. En décembre dernier, le Champs Sports Bar, situé dans le même immeuble, avait aussi dû suspendre temporairement ses activités en décembre dernier suite à des plaintes répétées. Et pire encore, le Diving Bell Social Club, un étage plus haut, toujours dans le même immeuble, l’une des rares salles montréalaises à encore proposer des locations gratuites aux artistes émergents, a tout simplement mis la clé à la porte dans la foulée des événements.

Pourtant, en réaction à ces controverses et suivant l’ensemble des discussions prises entre les différentes autorités municipales, l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal avait modifié en urgence en septembre l’article 9 de sa règlementation afin d’empêcher, en principe, les plaintes de bruits contre les bars, restaurants et salles de spectacle, ce qui ne semble visiblement pas respecté sur le terrain.

Il faut dire que la décision ne faisait alors pas l’affaire de tous. Si l’industrie musicale et le milieu culturel se déclaraient généralement heureux de voir qu’une première étape du travail nécessaire, bien que temporaire, était accomplie, les habitants du quartier, eux, grognaient. Pour plusieurs, le fait d’inclure l’ensemble des bars dans la décision ouvrait la porte à des débordements, soulignant du même coup le flou juridique existant autour des différents types de salles…

Calvaire prolongée pour les petits lieux de spectacle

Dans l’attente du dépôt de cette nouvelle mouture de la règlementation locale, les propriétaires d’établissements culturels, eux, continuent d’attendre. Le Blue Dog n’en était pas à ses premières réprimandes : en 2019, la cour municipale avait obligé le bar à payer une amende de 600$ pour la tenue d’un événement qui se déroulant pendant le festival Mural, alors que des autorisations avaient pourtant été remises à plusieurs commerçants pour diffuser de la musique en extérieur.

Sergio Da Silva, membre de l’équipe du Blue Dog, en aura aussi vu passer plus qu’assez au Turbo Haüs, salle punk de la rue Saint-Denis qu’il a cofondée il y a une dizaine d’année. Salle qui avait d’ailleurs déjà dû déménager de ses locaux dans le quartier Saint-Henri en 2018 à cause de tensions avec le quartier résidentiel environnant.

Le Champs a eu encore moins de chance. La voisine à la base des plaintes formulées à répétition contre les deux établissements serait, selon les informations obtenues, la propriétaire de l’immeuble, qui en est aussi résidente. Après quelques interventions du SPVM, le bar avait pris la décision d’aménager une nouvelle paroi d’insonorisation pour des coûts avoisinnant les 20 000$. Situation réglée donc? Non. Les autorités ont jugé que le bruit généré par les activités nocturnes de ce safe space queer au centre du Plateau dépassait encore les seuils nécessaires à « la jouissance paisible de son logement », notion floue et subjective prévue au Code civil. Malgré ces investissements majeurs, la situation n’est donc toujours pas réglée.

Quelles solutions?

Après avoir tenté de rejoindre l’équipe du maire Rabouin pour en savoir plus sur l’état d’avancement du dossier, sans succès, nous avons rejoint Jon Weisz, directeur général des SMAQ (Scènes de musique alternative du Québec), organisme qui a pour mission de représenter les intérêts des diffuseurs auprès des différentes autorités publiques. Jon suit de près le dossier des plaintes de bruit depuis des années, et encore plus depuis septembre 2024. Si la situation n’est pas rose, il existe tout de même certaines pistes de solution pour lui.

Équipement sonore

Un premier pas pourrait être de placer des limitations directement sur les équipements techniques des salles de spectacle, les restreignant ainsi de facto à un certain niveau d’émission sonore. C’est ce qui se fait déjà ailleurs, en France notamment. Solution simple et rapide, mais encore faut-il évaluer quels niveaux sonores seront jugés comme acceptables par les autorités, dont le jugement est parfois assez arbitraire comme nous allons le voir.

L’article 8

Si l’article 9 du Règlement sur le bruit a bel et bien été suspendu par l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, que cette décision soit respectée ou non sur le terrain, un autre peut toujours être invoqué. Il s’agit de l’article 8, qui impose des seuils clairs pour évaluer le niveau sonore de bruit émis par un établissement. Or, son application est difficile : les agents du SPVM n’ont pas les qualifications requises pour prendre des calculs fiables ni l’équipement requis pour le faire, alors que l’outil utilisé est bien souvent une appli de sonomètre sur un téléphone.

La solution proposée pour une meilleure application du règlement : la formation des autorités policières et l’achat de sonomètres dans un premier temps. Les experts, dont Jon Weisz, ont aussi demandé dans les recommandations soumises à la ville la fixation de seuils établis par des acousticiens plus adaptés à la réalité de chaque bar et salle de spectacles selon sa fonction principale et son emplacement géographique. L’idée proposée stipule qu’un club sur la Main, par exemple, aurait le droit d’émettre plus de son en extérieur puisque le niveau de bruit ambiant est déjà plus élevé de base et a donc moins d’incidence sur la tranquilité du voisinage qu’un bar qui serait sur la rue Saint-Zotique en plein quartier résidentiel. Une solution qui éliminerait tout flou juridique, mais qui se révèle tout de même coûteuse et applicable uniquement sur du long terme.

Permis de la Régie des alcools

Les différents permis délivrés par la RACJ comportent plusieurs nuances qui peuvent permettre à certains bars de solidifier des acquis ou d’expandre leurs droits. Dans le cas du Champs par exemple, une tentative d’aller chercher une certification qui permet la danse en plus des activités régulières du bar pour mieux combattre les griefs de la locataire plaintive a été formulée. Cette demande a été rejetée peu après. La raison? Par manque de personnel, la RACJ demande régulièrement aux autorités policières, comme le SPVM, d’aller enquêter pour eux sur le terrain. Ce même SPVM qui juge déjà que les niveaux de bruits émis par la salle, et ce même depuis la construction d’un plafond insonorisé, ne respectent pas les politiques municipales. La solution serait-elle donc d’attribuer des fonds à la Régie pour faire l’embauche de plus d’inspecteurs spécialisés? Ou de faciliter le processus de modifications des permis de bar? La réponse n’est pas si simple.

La RACJ est un organisme public et se trouve donc à être régie par le gouvernement provincial. Tout changement drastique de ses politiques internes nécessite donc l’aval de l’Assemblée nationale, qui jusqu’à maintenant ne semble pas avoir la situation des salles de spectacles en tête de ses priorités malgré les interventions du ministre Mathieu Lacombe lors des jours qui ont suivi l’annonce de la fermeture du La Tulipe. Solution qui nécessiterait donc du lobbying public, l’appui des différents partis politiques et l’attribution de nouveaux budgets, en plein déficit record du budget public.

Changements structurels

La dernière solution est celle déjà mise en place par plusieurs établissements : apporter des changements à la structure des bâtiments qui les accueillent, lorsqu’elles peuvent se le permettre en raison des coûts ou de leur statut de locataire, ou débuter des travaux d’insonorisation. L’exemple prouve toutefois que cette solution est peu viable puisqu’il revient encore au SPVM de juger les niveaux de bruit sans prendre en compte ces travaux. Si le bruit est toujours jugé trop important, les amendes continueront de rentrer, peu importe le temps investi et l’argent dépensé. Le Divan Orange et le La Tulipe ont tous deux choisi cette option, uniquement pour crouler sous les dettes par la suite. Solution donc qui témoigne d’un taux de réussite assez faible. Pour cette raison, peu osent encore investir dans ce type de travaux.

* L’ancien Divan orange, édifice maintenant en vente.

Fond d’investissement

L’une des idées évoquées par certaines salles de spectacles l’automne dernier était assez intéressante sur papier : créer une caisse mutuelle de fonds destinés à aider des salles lors de poursuites ou de travaux d’insonorisation. Cette solution demande toutefois que chaque membre impliqué puisse libérer assez de fonds pour investir et que plusieurs salles ne se retrouvent pas à avoir besoin d’argent au même moment ou trop fréquemment.

Que faire?

Que peut-on donc faire, à titre de mélomanes et de citoyens lambda?

Pour le moment, c’est principalement de l’implication citoyenne qui est envisageable, à commencer par écrire aux politiciens locaux (maires, conseillers d’arrondissement) pour les pousser à accélérer les processus d’évaluation des nouvelles réglementations sur le bruit. C’est ce qui urge le plus, alors que certaines salles se voient tout juste attribuer des autorisations d’étendre leurs activités jusqu’à 6h du matin en vertu de la nouvelle politique nocturne de la ville, mais sans savoir si cela va générer de nouvelles plaintes.

Ensuite, écrire aux députés provinciaux ou au cabinet du ministre Lacombe pour les pousser à s’intéresser à la question, rapidement tombée dans l’oubli depuis l’automne.

Finalement, en privilégiant les concerts offerts par les plus petites salles de spectacles et les diffuseurs indépendants plutôt que d’aller uniquement voir des prestations d’artistes majeurs dans les grands établissements et festivals.

Sans l’aval des autorités et l’encouragement de tous, si le tendance se maintient, ce ne sera malheureusement qu’une question de temps avant que l’on doive changer notre nom pour Sorspu.ca.

[n.d.l.r. : Nous avons toujours le nom de domaine, depuis la pandémie… mais nous préférerions ne plus jamais avoir à l’utiliser!]

Vos commentaires