Swans

Notre correspondance philosophique avec Michael Gira de Swans

À l’aube de la soixante-dizaine, Michael Gira demeure l’un des artistes les plus fascinants des cercles du rock expérimental. Membre central du collectif Swans, il poursuit sa recherche musicale et philosophique avec des albums qui défient toujours son public, comme en témoignait encore une fois The Beggar, nouvelle offrande des Swans parue cet été, ainsi que des concerts toujours aussi déstabilisants (consultez nos critiques des deux derniers passages du groupe à Montréal, en 2015 et en 2014 avec Xiu Xiu). En vue du passage du groupe au National, à Montréal, ce mercredi, on a eu l’occasion d’échanger avec le vieux renard de l’underground.

Gira ne donne plus vraiment d’entrevues en personne, ni même au téléphone. En revanche, on a appris qu’il était très ouvert à répondre aux questions par courriel.

Les entrevues par courriel ne sont pas exactement populaires auprès des journalistes musicaux. Mais quand on nous dit que « Gira consacre beaucoup de temps et d’attention à donner des réponses longues et réfléchies » et « plus on parle de musique, plus Gira devient éloquent et loquace », c’est attirant.

Alors voilà. Sors-tu? a écouté le nouvel album et formulé quelques questions à l’endroit de Michael Gira, qui a amicalement fournies des réponses fascinantes. En voici quelques-unes.


Sors-tu? : Au fil des ans, Swans a exploré de nombreux territoires différents et est allé très loin, tant sur le plan sonore que créatif. Qu’est-ce qui vous pousse à continuer ? Que poursuivez-vous à ce stade de votre carrière ?

Michael Gira : Je suis toujours à la recherche d’un moyen d’être et de me sentir le plus vivant possible dans ma vie et dans ma musique. Si la musique est vitale et urgente, elle aide à percer le voile de la réalité. Je veux voir le visage de Dieu.

S-T: The Beggar comporte de nombreuses paroles intéressantes, qui abordent la mort (parfois de manière assez frontale, comme lorsque vous répétez « Am I ready to die? »dans Paradise is Mine), la mortalité, la vie elle-même en tant que concept étrange. Avez-vous l’impression d’avoir plus de choses à dire (avec des mots, pas seulement de la musique) en vieillissant ? La musique vous aide-t-elle à accepter la mort, la mortalité et tout le reste ?

M.G.: Même à mon âge, je reste abasourdi par le fait d’exister et d’être conscient de cette existence. L’œuvre n’est pas du tout une façon de donner un sens aux choses, d’exprimer des opinions ou même des points de vue. Dans le meilleur des cas, je suis certain qu’une main invisible est entrée en moi et s’est servie de moi comme d’un véhicule. Je suis parfaitement heureux de disparaître.

S-T? : Michael is Done est une chanson fascinante. Nous pensons immédiatement que vous vous référez à vous-même à la troisième personne, mais lorsque vous chantez : « When Michael is gone, some other will come / When the other has come, then Michael is done », comment définiriez-vous « l’autre » ?

Cette chanson apparaît comme un exercice de négation, où le langage s’efface lui-même. Le « Michael » en question n’est pas moi personnellement. Je ne suis pas certain qu’il y ait une différence entre « l’autre » et « moi ».

 

S-T? : J’ai l’impression que votre voix n’a jamais sonné aussi bien. On a l’impression que vous embrassez le timbre particulier de votre voix, qui vieillit comme un bon vin whisky, un peu comme Tom Waits ou Scott Walker sur ses derniers albums. J’ai lu à plusieurs reprises que vous étiez un perfectionniste qui n’est jamais pleinement satisfait (et c’est ce qui vous pousse à continuer !), mais que pensez-vous de votre chant à ce stade de votre carrière ?

M.G.: Je vous remercie beaucoup. C’est très agréable à lire. Mais oui, il est vrai que je suis constamment affligée par le timbre et la texture de ma voix. Pourtant, c’est tout ce que j’ai, alors je persiste. Il y a plusieurs voix que j’admire – Nico, Nina Simone, Frank Sinatra, Jim Morrison et Diamanda Galas, entre autres. En comparaison, je ne suis qu’un enfant laid et pleurnichard.

S-T? J’ai beaucoup aimé Los Angeles : City of Death, qui est probablement votre chanson rock la plus directe depuis longtemps (pour autant que Swans puisse produire une « chanson rock directe ») musicalement parlant, alors que les paroles nous exhortent à fuir pour échapper aux maux sociaux et environnementaux qui nous envahissent sournoisement. Était-ce un contraste (musique contre paroles) que vous aviez à l’esprit en écrivant la chanson ?

M.G. : J’apprécie que vous remarquiez que nous invitons le diable à entrer en nous et à nous habiter. C’est la nature humaine, je suppose. Honnêtement, je ne me souviens pas de la manière dont j’ai écrit la chanson. Je pense que je jouais avec des accords ouverts et comme à l’époque j’étais inexplicablement nostalgique de Los Angeles, la ville où j’ai été formé, les paroles ont naturellement découlé de ce thème.

 

S-T? : The Beggar Lover (Three) est une véritable aventure, une pièce époustouflante de près de 45 minutes. Pendant les 10 à 15 premières minutes, j’ai l’impression que c’est le contenu sur disque qui se rapproche le plus de la sensation menaçante, presque traumatisante, d’un spectacle de Swans.

Dans les notes de pochette, il est dit qu’elle a été « tirée de sons trouvés ainsi que de morceaux extraits/ reconfigurés de The Glowing Man, Leaving Meaning, et The Beggar (la chanson titre) ». Comment en êtes-vous arrivés là ? Il pourrait s’agir d’un album à part entière. Pourquoi a-t-il été inclus au milieu de l’album, en tant que chanson de 45 minutes ?

M.G. : L’album, avec des « chansons » proprement dites, était terminé et je le révisais en vue de le séquencer et de le masteriser, et je trouvais qu’il y avait trop de moi en train de chanter – que quelqu’un fasse taire ce putain de type !  J’ai donc décidé de créer un morceau essentiellement instrumental pour atténuer la punition infligée par l’écoute de mes paroles et de ma voix pendant une période aussi longue.

Il s’est développé à partir de pistes déjà enregistrées, tirées de différents albums, sur lesquelles j’ai fait de nouveaux overdubs, ainsi que des passages nouvellement créés et des sons trouvés que j’ai enregistrés dans la maison, ainsi que ma femme Jennifer lisant un extrait d’une de mes histoires et mon fils de 3 ans chantant à la table de la cuisine. Le fragment vocal « milky michael » est une berceuse que j’ai chantée et enregistrée pour lui afin de l’aider à s’endormir en mon absence…

Tous ces éléments ont ensuite grandi et se sont unis les uns aux autres par intuition pour finalement devenir ce que vous entendez sur le disque.

S-T? : Norman Westberg est un membre de longue date de Swans, mais il est (presque) absent de cet album. Pourtant, il assurera la première partie de votre concert à Montréal. Qu’en est-il ? A-t-il quitté Swans pour faire son truc en solo ? Quelle est l’histoire et comment se passe votre relation ?

M.G. : Norman est en congé sabbatique de Swans pour le moment, mais il nous rejoindra bientôt. En attendant, j’apprécie ses performances en solo, et c’est formidable d’avoir sa présence stoïque et laconique au sein de la tournée. Il est certain que sa présence enrichit ma vie.


Swans sera en spectacle ce mercredi 27 octobre, avec Norman Westberg en première partie. Billets disponibles par ici. Le spectacle affiche désormais complet.

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