Valérie Milot

Nebulae de Valérie Milot à L’Anglicane | Quand les étoiles s’accordent à la harpe

Hier après-midi, à L’Anglicane, le temps s’est suspendu. Avant même que Valérie Milot n’entre sur scène, un message enregistré de Francis Reddy prépare doucement le public à plonger dans l’immensité. Nebulae, nébuleuse, annonce déjà la couleur : celle de l’univers, de la poussière d’étoiles, du mystère. Dès les premières secondes, la harpiste établit un pont entre l’astronomie et la musique, rappelant que ces deux mondes ne sont peut-être pas si éloignés.

L’artiste apparaît, lumineuse, apaisée. Elle parle avec douceur, comme si chaque mot devait flotter un instant avant de retomber. Dans sa première allocution, elle cite Carl Sagan, ce scientifique-poète qui contemplait la Terre comme un simple point bleu pâle perdu dans le cosmos. « C’est ici que toute l’histoire de l’humanité a eu lieu », disait-il. Et tout à coup, l’infini se fait intime.

Lorsqu’elle s’installe à la harpe, c’est comme si son corps devenait un prolongement de l’instrument. Elle s’y balance doucement, la caresse, la fait vibrer comme on le ferait d’une âme sœur. L’artiste ne joue pas : elle respire à travers les cordes. Son visage reste paisible, presque habité. La salle entière retient son souffle. Certains ferment les yeux, préférant vivre la musique de l’intérieur, la ressentir pleinement, sans filtre, comme si chaque note trouvait écho en eux. Les premiers applaudissements éclatent timidement après la deuxième pièce, comme si le public craignait de briser un sort fragile.

Entre les morceaux, Valérie Milot se lève et raconte l’histoire de tout ce qui est. Le Big Bang, la naissance des étoiles, la création du Soleil, puis de la Terre. Elle évoque ces 14 milliards d’années avec simplicité, presque tendresse. Elle nous apprend que la lumière du soleil met huit minutes à atteindre la Terre, et que l’humanité, elle, n’a que 300 000 années. Tout devient relatif. Et soudain, la musique prend une autre dimension.

Sous ses doigts, la harpe devient galaxie. Elle pince, glisse, effleure les cordes du bout des doigts, des jointures, de la paume. Elle évoque la première harpe à huit cordes, avant de nous rappeler qu’aujourd’hui, l’instrument en compte quarante-sept, en plus d’avoir un système de pédales qui triple les possibilités sonores. Ce détail fascine autant qu’il émerveille : comment une seule femme peut-elle dompter un instrument aussi complexe? Pourtant, elle le fait avec aisance, avec amour.

Elle offre des oeuvres de Gabriel Pierné, Amélie Fortin, Claude Debussy, Christoph Willibald Gluck, William Bolcom… autant de mondes qui se  succèdent et se répondent. La pièce Clair de lune de Debussy demeure sans doute le sommet du récital : suspendue dans un silence religieux, elle fait frissonner chaque recoin de la salle. L’émotion est pure, presque mystique. La harpe semble pleurer et sourire tout à la fois.

Entre deux morceaux, l’humour s’invite. Valérie Milot blague sur les baby-boomers, sur Ricardo et sa meilleure recette de muffins, imite Orphée d’une fausse voix théâtrale qui fait rire le public. Derrière elle, sur un écran s’illumine des images : portraits de savants, constellations, tableaux anciens. Copernic, Galilée, Debussy, tous se croisent dans cette fresque où science, art et humanité s’embrassent.

Le public, subjugué, ne sait jamais quand applaudir. Parfois, elle enchaîne les pièces sans pause, laissant planer un mystère. D’autres fois, elle s’interrompt pour nous offrir une parcelle de savoir. On apprend que l’Église n’a officiellement levé sa condamnation à Galilée qu’en 1992. On découvre que, selon Hubert Reeves, « nous sommes faits de poussières d’étoiles ». Tout devient cohérent : la musique, les mots, les images.

Valérie Milot transforme la scène en un laboratoire d’émotions, une cathédrale lumineuse où chaque note est une prière adressée à l’univers. Elle réussit à rendre la science poétique, et la poésie universelle. C’est rare, c’est magnifique.

Le spectacle se termine dans un silence presque sacré. Les applaudissements explosent, longs et sincères. L’artiste revient, souriante, mais confie qu’il n’y aura pas de rappel : elle s’est blessée à la main plus tôt dans la journée. Elle montre sa paume, légèrement ensanglantée. Et pourtant, elle a joué tout le long, sans jamais flancher. Le public en est bouleversé. Il faut être une musicienne d’exception pour transformer la douleur en beauté.

Hier, à L’Anglicane, Valérie Milot a prouvé que la harpe n’est pas qu’un instrument d’accompagnement, mais un univers à part entier. Qu’elle peut contenir le fracas du Big Bang et la douceur d’un clair de lune. Qu’entre deux battements d’ailes, entre deux pulsations d’étoiles, il existe un lieu où tout devient musique.

Et c’est exactement là, dans ce fragile espace suspendu, que Nebulae nous a trouvés.

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