crédit photo: Félix Bouchard
Angine de Poitrine

Mystérieuse entrevue épistolaire avec Angine de Poitrine | L’apparition d’un nouveau symptôme

Angine de Poitrine, c’est le nouveau projet de deux gars du Saguenay qui se veut être expérimental dans l’univers de la microtonalité rock. De passage au Quai des Brumes le 3 mai dernier pour un concert dément, Angine de Poitrine continuera de se produire dans la saison estivale avec sa proposition musicale unique. Pour dénicher ce qui se cache derrière ces costumes et cette musique transcendantale — à défaut de savoir réellement QUI s’y cache! — nous leur avons posé plusieurs questions par courriel. Voici donc l’entrevue qui donne un accès aux humains derrière les personnages de Klec et Khn.

Sors-Tu : Angine de Poitrine se dit un projet rock qui repousse les limites grâce à ses boucles sonores en direct, son ambiance musicale envoûtante et ses costumes déjantés. Est-ce que l’objectif du projet est de provoquer les mêmes symptômes que de l’angine de poitrine au public ? Pourquoi Angine de Poitrine ?

Angine de Poitrine : Au cœur de notre relation avec la musique, il y a toujours eu une forme d’humour décalé qui se rattache au grotesque, au loufoque, à l’improbable et à la déconstruction volontaire de l’aura de sérieuse gravité qui peut émaner de certaines formes d’art. Le projet en entier est littéralement une blague qui a débordé dans la réalité. Quelque chose comme deux gars qui radotent à 2 heures du matin et qui lancent : « Au pire, on se fait un jam-band de rock microtonal pis on appelle ça… j’sais pas… ANGINE DE POITRINE. Pis on met des masques pour que personne sache que c’est nous autres ». Le nom est sorti spontanément, mais il y a définitivement un lien à faire avec l’effet exaltant (ou vaguement angoissant, c’est selon) de la dissonance. Donc, oui : le but, hypothétiquement, c’est de causer des symptômes semblables à ceux d’une condition médicale grave.

Photo par Félix Bouchard

Qui sont les sources d’inspiration pour les deux gars du Saguenay derrière ce projet qu’est Angine de Poitrine ?

Ce serait malhonnête d’omettre de mentionner King Gizzard comme étant l’amorce d’une curiosité vis-à-vis de la microtonalité. À notre connaissance, ce sont les premiers à avoir vendu autant de quarts de tons à un public occidental aussi vaste. Mais au niveau du langage guitaristique, les influences sont larges; je pense qu’une synthèse appropriée, ce serait de parler d’un phrasé angulaire teinté de Zappa et de Leo Brouwer, mais doublé d’une approche influencée par le jazz moderne à la John Scofield; beaucoup de chromatisme, et certaines lignes mélodiques qui suggèrent des mouvements harmoniques out sur des vamps modaux. Au niveau de la batterie, le jeu ferme, assumé et l’aisance sur les métriques odd parlent de nos influences communes en matière de rock progressif des 70’s. Il y a une game de changements de feel dans les lignes de batterie qui est définitivement un effet secondaire du prog, mais le sens du groove et la cohérence des lignes, ça vient d’une enfance baignée dans les hits disco qui jouaient dans le salon des parents (shout out à l’album Christmas Jollies de Salsoul Orchestra). 

Ce qui est drôle, c’est le décalage entre ce qu’on crée et ce qu’on consomme. On pourrait penser qu’on écoute surtout des trucsedgy ou weird, mais au final, à même le band, on a un grand consommateur de musique pop. Dans le char, ça peut passer de René Lussier à Po-po-po-po-po-po-po-po-po-ker face. Grand fan de chanson québécoise moderne, aussi, qui est d’ailleurs ben content de partager la scène avec Mon Doux Saigneur à La Noce, même si c’est un match à la limite de l’absurde (On salue l’audace des responsables de la programmation).

Comment est né ce projet d’Angine de Poitrine qu’on connaît aujourd’hui ?

La scène rock underground au Saguenay Lac-St-Jean est assez riche, mais c’est un petit milieu. On fait vite le tour. Il y a quelques années, on s’est retrouvés face à une situation dans laquelle on refusait une gig, question de pas brûler la crowd avec un autre projet auquel on contribue. C’est là qu’on a lancé l’idée d’un nouveau projet spontané, à la blague. Question de pouvoir aligner deux shows back to back dans le même lieu de diffusion, mais avec deux propositions complètement différentes. 

Il y a une certaine part de mystère avec vos habits. Pourquoi avoir choisi d’incorporer les costumes et l’identité visuelle unique de la formation ? 

Les masques et l’anonymat, c’est venu avec l’idée de s’assurer que les gens ne confondent pas la proposition avec celle d’autres bands dont on fait partie. De donner à Angine une signature distincte. Mais on s’entend, c’était pas une nécessité. Derrière ce casse-tête logistique incroyable et les heures innombrables à peindre des picots et se beurrer les doigts dans du papier mâché, il y a, d’une part, une espièglerie amusée. Ensuite, il y a aussi une mentalité selon laquelle un show, c’est pas juste de la musique. C’est stimulant de prendre le contrôle sur tous les aspects qui entourent un projet musical. C’est le pôle opposé aux courants élitistes qui valorisent uniquement la matière sonore, comme si ça enlevait de la valeur au contenu de chercher à décorer le contenant. Mais au final, même le jazzman placide fait un choix conscient en matière d’esthétique quand il choisit sa cravate pis ses shoeclaques avant le show. Si tu t’accordes pas le droit d’avoir une ligne directrice claire et consciente en matière d’esthétique de scène à cause de tes principes étriqués, au final, tu fais des choix pareil mais tu les assumes à moitié et tu prives ta musique d’une tribune qui la met en valeur.

Comment décririez-vous une performance d’Angine en concert à quelqu’un qui s’apprête à vous voir cet été ? Parce que c’est une expérience à laquelle on doit être prêt, non ?

Notre premier show a eu lieu dans une soirée d’art-performance, dans un centre d’artistes. On pitchait des sardines et de la Colt 45 dans la crowd. Ils avaient l’air d’aimer ça. Quand on est arrivés avec du paris-pâté sur le stage au Café du Clocher, ça a moins levé un peu. Donc, pas de crainte; maintenant, on s’en tient aux hot-dogs. 

Sinon, c’est un show rock assez straightforward. On voit à peu près rien pendant qu’on joue, à cause des masques. En plus, la musique en elle-même demande un certain niveau de concentration, alors l’esthétique de la patente aide à rendre ça captivant. Du moins, on espère. 

Sinon, il y a beaucoup de picots.  

Le premier projet est sorti. On est dans l’instrumental pur et dur (peu, ou jamais de paroles). Mis à part les cris de bien sentis que l’on entend souvent en concert et dans quelque morceaux, est-ce qu’Angine pourrait chanter dans le futur ?

De là à dire que ça prendrait littéralement la forme de chansons à texte ? Non. En construisant les tounes entièrement à partir d’un empilage de loops de guitare et de basse, l’idée c’est d’avoir une approche structurelle qui se rapproche plus de la musique techno que du rock. D’où l’appellation « Mantra-rock », qui fait référence à la notion de répétitivité. C’est pas impossible qu’on mette davantage les voix de l’avant dans le futur, mais avec la même approche qu’en ce moment : des interventions courtes et au caractère assez mécanique, comme si on était ni plus ni moins que des espèces d’échantillonneurs humains qui punchent dessamples.

Dans ce duo qui se complète à merveille, est-ce que la décision d’avoir un guitariste/bassiste était de mise dès le départ en raison de la polyvalence de ce dernier ?  

Oui et non. On a jamais soulevé la question d’intégrer un troisième membre. À deux, c’est tellement plus facile au niveau transport et logistique. Au départ, la version BETA du projet, c’était seulement guitare et batterie. Mais la basse ouvre des portes en maudit ; ça aide à opérer des métamorphoses plus fluides entre les sections d’une même pièce, ça permet de faire des drops plus puissants, c’est définitivement moins frustrant au niveau arrangements… Après, tu travailles en-dedans des limites de ce que tu peux faire avec un looper. C’est un défi intéressant, et le but c’est de réussir à repousser un peu cette limite là; de parvenir à opérer des changements de section et des métamorphoses de manière fluide, d’accueillir la notion de répétitivité obsédante, mais en cherchant des façons de créer des variations rythmiques, mélodiques et timbrales qui enrichissent la patente. Comme dans la musique techno. Comme dans le Boléro de Ravel.

Le seul enjeu, c’était d’avoir un moyen d’alterner rapidement entre la guitare et la basse, d’où l’idée de la guitare à deux manches. Il y a eu un bon processus de réflexion pour concevoir l’instrument, qui a été assemblé à partir de plein de morceaux modifiés par Raphaël LeBreton, un luthier de la région qui a vraiment été à l’écoute et qui a su comprendre que le but, c’était de servir les besoins du projet avec les moyens du bord, sans faire un build custom à 100% et que ça coûte six millions de dollars.

À quoi peut-on s’attendre pour la suite ?

On en est à… Neuf concerts effectués ? Le but, c’est de promener cette bibitte-là un peu partout live (surtout en période estivale) et de sortir de la nouvelle musique de façon à peu près constante (c’est l’fun de travailler en studio quand il fait frette). S’il y a un public pour ça et qu’on pogne pas le cancer de la peau à cause de la peinture acrylique du dollarama, le projet est un p’tit embryon qui cherche juste à se développer. D’ailleurs, on lâche un gros shout out à Fabien Peterson, un bonhomme passionné et débordant d’enthousiasme qui nous donne un gros coup de main avec à peu près tous les aspects du projet.

Angine de Poitrine parcourra quelques salles de la province cet été pour présenter les morceaux rock de ce premier opus. Le lancement se fera d’ailleurs dans Le Knock-Out à Québec le 14 juin. Si vous n’êtes pas dans la capitale demain, voici une liste de leurs spectacles :

Événements à venir

Vos commentaires