crédit photo: Bruno Aiello-Destombes

MUTEK 2023 | Nocturne 1 : L’innovation à l’honneur, couronnée d’une part d’incompréhension et d’une part de génie

Oiseaux rares nocturnes et explorateurs.rices de la scène musicale expérimentale se réunissaient mercredi soir à la Société des arts technologiques pour prendre part à la première Nocturne du festival MUTEK à Montréal. Les projecteurs étaient braqués sur le Cycle Punk d’Abdul Lateef & The Distraction Machine, l’expérience audiovisuelle orchestrée par Brett Bolton, le mythique Open Reel Ensemble, ainsi que la jeunesse teintée de surréalisme de Carmen Jaci et Matthew Schoen, quatre actes qui ont consacré la nuit de mercredi reine de l’innovation.

Abdul Lateef & The Distraction Machine : Le concept avant tout

C’est devant une SAT à moitié pleine qu’Abdul Lateef aka The Distractor amorce la soirée vers 22h. L’intrigue s’installe en même temps que l’artiste, au milieu de roues de bicycles recyclées et sous un casque de guerrier futuriste.

On a tout de suite le sentiment d’être face à un inventeur, et avec raison. Son art qu’il qualifie de Cycle Punk prend la forme d’une bande-dessinée, d’un jeu vidéo musical sorti le 9 juin dernier (Distraction Machine), et mercredi soir d’une prestation musicale en direct, agrémentée de percussions et fingerpicking sur roues de bicyclette et de beats créés de toutes pièces sur le séquenceur de son propre jeu vidéo. Assez fort.

* Photo par Bruno Aiello-Destombes.

Toutefois, malheureusement, nous ne sommes pas devant une performance de la taille du concept… Le volume des séquences d’Abdul Lateef est faible, les feedbacks et erreurs fréquentes, le jeu sur les rayons du bike harp parfois décalé… L’hésitation perceptible au sein de la performance limite la faculté de la foule à s’immerger dans un univers qui manifestement possède un grand potentiel.

Peut-être serait-il opportun de préciser au public qu’il s’agit d’une démonstration du jeu vidéo, que les pièces ne sont pas créées sur un logiciel professionnel de production musicale. Cette clarification pourrait favoriser une compréhension plus approfondie de la nature novatrice et expérimentale du spectacle.

* Photo par Bruno Aiello-Destombes.

Néanmoins, Le jeu vidéo semble très intéressant : une zombie apocalypse montréalaise où le beat-making devient une arme pour survivre (!). C’est original. On l’appelle (faire une pause) The Distraction Machine !

 

Brett Bolton : Une cohésion audiovisuelle rare

L’air d’un chanteur indie folk sympathique, Brett Bolton s’installe sur scène avec pour seul décor une batterie. L’artiste audiovisuel de Los Angeles a peut-être un passé indie-rock, mais ce n’est pas ce qui attend la foule de la SAT.

* Photo par Bruno Aiello-Destombes.

Simplement, Bolton s’installe et frappe le premier coup de caisse claire. Le visuel s’anime immédiatement. Un monde de liquides étranges répond aux mouvements convaincants de l’artiste. La conversation entre la tradition et la technologie est lancée par Bolton, qui déclenche en direct les projections en frappant sa batterie, le tout accompagné de samples et séquences. En gros, la musique crée le visuel en temps réel. Fascinant, n’est-ce pas?

* Photo par Bruno Aiello-Destombes.

Bien que l’expérience visuelle fasse partie du deal, Brett Bolton nous a convaincus.es mercredi soir que sa musique peut avoir une vie bien à elle. À quand l’album?

 

Open Reel Ensemble : L’innovation en personne

À l’arrivée de Haruka Yoshida, Ei Wada et Masaru Yoshida sur scène, la SAT est bondée et l’excitation palpable. Le phénomène japonais instrumental a fait du bruit jusqu’à Montréal, manifestement.

* Photo par Bruno Aiello-Destombes.

Dès la première pièce, c’est une impression de jamais vu qui nous happe. De vieux magnétophones à bobines des années 70 et 80 habitent la scène (c’est énorme, ces machines!) et sont reliés à des contrôleurs et autres étrangetés. Quiconque tente de percer leur mystère se heurtera à un mur. Heureusement, nul besoin de comprendre, car les créateurs du Open Reel Ensemble donnent un show. Déjantés, essoufflés, on dirait qu’ils jouent du punk, mais le magnetikpunk du groupe ne se niche ni dans le cyberpunk, ni dans le steampunk. C’est plutôt une forme de new magnetic wave, ou autrement dit, Kraftwerk boosté aux stéroides.

* Photo par Bruno Aiello-Destombes.

Comment une proposition aussi particulière a-t-elle pu attirer autant de personnes à la SAT? La réponse réside probablement dans la qualité, l’originalité et la constance de ce groupe qui existe depuis 2009. Comme quoi l’unicité et la surprise ont toujours un pouvoir dans le monde de la musique.

 

Carmen Jaci et Matthew Schoen : Hyperactivité + créativité

Un mot : Hyperactivité, et peut-être un second : Talent. La productrice et compositrice canadienne basée aux Pays-Bas Carmen Jaci présente en collaboration avec le compositeur et artiste visuel Matthew Schoen un portrait surréaliste, psychédélique au visage candide.

* Photo par Bruno Aiello-Destombes.

La musique, constituée majoritairement de percussions électroniques ludiques, rapides comme des balles de Ping-Pong qui s’échappent quand on tente de les saisir (en écoutant l’album Happy Child, vous allez tout de suite comprendre. Une musique parfaite pour jouer au Ping-Pong). Des ajouts vocaux ainsi que synthétiseurs minimalistes apportent une touche qui n’est pas sans rappeler les débuts de Grimes, mais sans son aspect performatif fort. Fragmentée, rendue synthétique, l’exposition des objets de la vie de tous les jours de Carmen Jeci sur écran par Matthew Schoen augmente toutefois considérablement l’intérêt que l’on peut porter à la performance live du duo.

* Photo par Bruno Aiello-Destombes.

Il est déjà 2h du matin, la Nocturne 1 tire à sa fin et les festivaliers du MUTEK regagnent les rues de Montréal. C’est une nuit dont ils parleront sans doute pendant longtemps.

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