Orchestre Symphonique de Montréal

Mozart selon Kent Nagano à la Salle Symphonique | Un musicien peut en cacher un autre !

Les 27 et 28 février, Kent Nagano conduit une soirée spéciale autour de Mozart. Inutile de faire les présentations avec le chef d’orchestre de l’OSM, et encore moins avec l’illustre musicien autrichien. La plupart des spectateurs pensaient sans doute écouter l’orchestre briller en interprétant la Sérénade n°12 en do mineur, l’ouverture de La flûte enchantée – dernier opéra de Mozart – et le concerto pour piano n°23 en la majeur. Ce fut le cas, mais la soirée a aussi réservé des surprises. L’ensemble des pièces de Mozart semblait servir d’écrin à la présentation de Siddhartha, poème symphonique du musicien montréalais Claude Vivier (1948-1983), inspiré du roman éponyme de Hermann Hesse (1877-1962). Cette œuvre d’une demi-heure écrite pour grand orchestre, rejouée après trente-deux ans d’absence, fut le point d’orgue de la soirée, close par la performance éclatante du pianiste polonais Rafał Blechacz.

Une soirée sous le signe de Siddhartha

Le concert s’est ouvert avec la Sérénade n°12 en do mineur, K.388/384a, qui aurait été composée au cours de l’été 1782. Cette introduction en douceur ne mobilisait qu’une petite partie de l’OSM, car la pièce fut initialement écrite pour huit instruments à vent. À ce commencement attendu s’est substitué un moment plus que surprenant.

Une fois la disposition de l’orchestre remaniée et l’estrade installée, Kent Nagano fait son entrée. Au lieu de venir promptement s’installer à son poste, comme à son habitude, celui-ci vient expliquer l’importance de l’événement musical qui va suivre. Quelle surprise de voir le chef d’orchestre de l’OSM jongler avec humour entre anglais et français pendant une vingtaine de minutes, pour nous présenter Claude Vivier et son œuvre, Siddhartha.

Et une question finale : pourquoi inclure cette pièce dans un programme consacré à Mozart ? La « pureté de l’idée d’une note qui lance une explosion dont découlent des histoires » est la même dans Siddhartha et dans l’œuvre de Mozart. Chaque pièce est liée ce soir à l’œuvre de Claude Vivier, affirme Nagano : la sérénade de Mozart préfigure celle qui sera jouée entre Siddhartha et Kamala, l’ouverture de la Flûte Enchantée, quant à elle, fait référence au « spiritual enlightenment » du 18e siècle, écho à «l’illumination » de Siddhartha. L’interprétation de l’OSM fut éblouissante, à la hauteur d’une tache ardue, Claude Vivier ayant développé son propre système de notation, qu’il a fallu décrypter. On pouvait tout de même sentir, ce qui est rare, la fébrilité de l’ensemble musical, émue de faire connaître une œuvre contemporaine peu jouée au Canada.

Après l’entracte, l’ouverture de La Flûte Enchantée (1791), menée par des violons déchaînés, produit un effet envoûtant. À ce hit du répertoire mozartien succède le Concerto pour Piano n°23 en la majeur, K.488, composé entre décembre 1784 et décembre 1786. Cette œuvre est l’une des plus accomplies de Mozart, alliant équilibre entre cordes et instruments à vent, orchestre et soliste, autour d’un des plus beaux thèmes créés par le musicien. Le pianiste Rafał Blechacz, spécialiste de Chopin, insuffle au second mouvement en fa dièse mineur un esprit romantique, qui laisse sans voix. Cet adagio magnifiquement émouvant a trouvé un interprète à sa mesure, achevant avec une quasi-perfection un concert triomphal.

 

Retour sur la vie et l’œuvre de Claude Vivier

Les concerts du 27 & 28 février sont présentés dans le cadre du Festival des Nouvelles Musiques organisé par la Société de Musique Contemporaine du Québec. La présentation de Siddhartha de Claude Vivier a donc fait l’objet d’une attention particulière. Né à Montréal en 1948, il a composé Siddhartha en 1976 à la suite d’une commande de Radio Canada pour l’Orchestre national des jeunes du Canada. Pourtant, la première n’a eu lieu qu’en 1987, donnée par l’Orchestre Métropolitain, alors sous la direction de Walter Boudreau, ami de Vivier.

Kent Nagano tenait à rejouer à l’OSM ce poème symphonique, car il s’agit de son œuvre la plus accomplie. Elle a d’abord une structure remarquable : à partir d’un motif unique, d’une seule note en fa dièse, celle-ci produit des « elongations, contractions, canons et contrepoints ». Plutôt que de réunir un ensemble, elle convie huit groupes de musique de chambre en satellite qui se coordonnent. On note également l’utilisation d’instruments rares : carillon tubulaire, vibraphone et gongs.

L’œuvre, qui serait d’inspiration autobiographique, est directement tirée du roman d’Hermann Hesse, racontant le parcours spirituel du prince Siddhartha (dans la tradition, nom du Bouddha avant l’éveil). Il est possible de reconnaître chez Vivier la rencontre entre Kamala et Siddhartha, le dialogue entre Siddhartha et le batelier, mais aussi son illumination. Selon Walter Boudreau, c’est une « musique directe, découpée à la perfection, qui, à partir d’une simple mélodie, se déploie magistralement dans une constellation fantastique d’idées et d’émotions… ».

Après une telle démonstration, nous ne pouvons que confirmer ces propos.

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