Moi, Jeanne à l’ESPACE GO | Le courage d’éclater les normes du genre pour briller
Dans Moi, Jeanne, à l’affiche du 24 septembre au 20 octobre, Pleurer Dans’ Douche et le Théâtre ESPACE GO présentent une Jeanne d’Arc non-binaire qui nous invite à éclater les normes du genre pour briller.
Je n’avais personnellement pas été aussi secouée par une œuvre théâtrale depuis que La Licorne présentait, au début des années 90, le spectacle culte Cabaret neiges noires. Une œuvre débridée qui transgresse les codes du théâtre pour incarner la désillusion de la génération X, témoin de l’effondrement des rêves collectifs.
Moi, Jeanne partage avec Cabaret neiges noires la volonté d’éclater les codes de l’art de la scène et la capacité d’incarner sur scène l’essence d’une génération. Mais au contraire de cette première, elle est tout sauf sombre et pessimiste. C’est une œuvre lumineuse qui ouvre le monde des possibles et nous donne le courage de briller en devenant maîtres de notre destin.
Moi, Jeanne est une création audacieuse, dynamique, colorée et pleine d’humour. Un incontournable de cette rentrée théâtrale.
Consultez également : Notre entrevue avec Geneviève Labelle et Mélodie Noël-Rousseau au sujet de la pièce. |
D’abord, l’audacieux texte de Charlie Josephine
Tout le monde connaît, au moins un peu, l’histoire de Jeanne d’Arc. Jeune paysanne, elle entend des voix divines qui lui ordonnent de libérer la France de la domination anglaise. En 1429, à seulement 17 ans, elle convainc celui qui deviendra Charles VII, roi de France, de lui confier une armée. Jeanne joue alors un rôle crucial dans la levée du siège d’Orléans, une victoire marquante de la guerre de Cent Ans.
Une fois couronné, Charles VII abandonne les aspirations de Jeanne, renonçant à la libération totale du royaume. Motivé par la convoitise, il cesse de la soutenir. Elle sera alors capturée, vendue aux Anglais, et brûlée vive à 19 ans suite à un procès truffé d’irrégularités. C’est ce que relate l’histoire officielle de Jeanne d’Arc, du moins celle qui a été écrite par des hommes.
Le texte du dramaturge anglais Charlie Josephine, bien que fidèle aux événements historiques, nous offre une relecture audacieuse où Jeanne d’Arc devient narratrice de sa propre histoire. S’exprimant dans un langage moderne, bien éloigné de celui de son époque, Jeanne y dévoile une identité plus complexe.
Car Jeanne se ressent homme dans un corps de femme. Elle lutte pour que ses contemporains reconnaissent son identité – mais, quelle identité exactement? Le vocabulaire du moyen-âge ne peut l’exprimer. C’est ainsi que le texte révèle la violence des mots qui n’existent pas. Dans cette perpétuelle lutte et souffrance, Jeanne puise l’audace de libérer la France, et aussi la force d’inspirer un peuple entier à faire preuve de courage.
Dans une finale libérée des conventions historiques, Jeanne proclame : « Nous ne sommes pas un livre d’histoire, nous n’écrivons pas la biographie de Jeanne d’Arc. Nous sommes l’art vivant, nous travaillons pour le présent et le futur ». Le texte de Moi, Jeanne sert ainsi de trame à l’émancipation de la génération contemporaine qui rejette les codes de genre.
Puis, pleins feux sur les artisans
Tout d’abord, Sarah Berthiaume n’a pas simplement traduit le texte du dramaturge anglais Charlie Josephine, elle l’a véritablement ancré dans la langue et la culture québécoises. Elle s’est approprié le texte en y intégrant des expressions et des références familières à notre quotidien, notamment à travers une allégorie percutante entre les stratégies au hockey et celles des champs de bataille. Cette adaptation va bien au-delà de la traduction : elle réussit à faire résonner cette œuvre avec la réalité linguistique et culturelle du Québec.
Ce qui frappe sans doute le plus dans cette œuvre, c’est la mise en scène audacieuse de Geneviève Labelle et Mélodie Noël Rousseau, marquée par la signature distinctive de leur compagnie de théâtre de création queer et féministe, Pleurer Dans’ Douche, qui a la réputation de beaucoup aimer les accessoires, comme le soulignait Sors-tu? dans une entrevue en septembre. La spectaculaire mise en scène rend comique ce qui est tragique. Malgré le caractère spectaculaire, militant et parfois caricatural de l’œuvre, l’essence de l’histoire de Jeanne d’Arc n’en est jamais complètement dénaturée.
Dès l’ouverture, le public est accueilli par une sélection de douze personnages, vêtus de costumes bigarrés et incarnant une diversité ethnique et de genre rarement vu sur scène. Dans la forme, on est très proche d’un cabaret burlesque moderne. Par exemple — sans tout révéler pour éviter de divulgâcher —, les scènes de batailles sont brillamment évoquées par des chorégraphies exécutées sur la musique de Barbara Bonfiglio (DJ Misstress Barbara) et éclairées par des lumières stroboscopiques.
Brisant encore davantage les conventions, les scènes les plus riches en dialogue sont portées par deux personnages dépourvus d’éducation : Jeanne d’Arc (Geneviève Labelle) et Thomas (Gabriel Favreau), l’amant (pas tout à fait consentant) du roi Charles VII. Toustes deux brillent dans leurs rôles respectifs. Jeanne, magnifiquement charismatique, semble réellement illuminée, tandis que Thomas nous plonge dans sa tourmente et l’émancipation que lui inspire Jeanne.
Gabriel Szabo, dans le rôle de Charles VII, est d’un comique éclatant, et bien que la caricature soit poussée à l’extrême, son interprétation reste étonnamment fidèle au caractère historique du roi de France.
Moi, Jeanne mérite sans aucun doute une longue vie sur scène. C’est une pièce qui mérite d’être vue par toutes, jeune et moins jeune, qui cherche un théâtre dynamique, novateur et résolument engagé. Elle est d’ailleurs présenté au Théâtre ESPACE GO jusqu’au 20 octobre, alors c’est encore le temps d’y aller. Pour acheter des billets, c’est par ici.
Moi, JeanneTexte : Charlie Josephine. Traduction : Sarah Berthiaume. |
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