crédit photo: Danny Taillon
Moi dans les ruines rouges du siècle

Moi, dans les ruines rouges du siècle au Théâtre Jean-Duceppe | La blessure d’un fils dans l’Ukraine soviétique

Moi, dans les ruines rouges du siècle est l’histoire d’une quête. Une quête de deux décennies, que le héros préfère par moments oublier pour tenter de se construire, dans une U.R.S.S. sur le déclin. Une quête tantôt drôle, tantôt émouvante, pleine de détours, mais inéluctable : celle d’un fils pour retrouver sa mère. Cette mère qui l’aurait abandonné à son père dans sa petite enfance. À moins que ce ne soit son père qui l’ait kidnappé.

La vérité n’est que nuances. Mais celles-ci n’existent pas dans le monde créé par le père du petit Sasha. Mineur, de cette génération qui ne connait que le sacrifice pour l’idéal communiste, Vassili tente, parfois maladroitement, de combler le vide qui hante le duo père-fils. Au point de lui faire croire pendant plusieurs années qu’une autre femme, rencontrée dans une autre ville, est sa mère. Sa façon à lui de protéger l’enfant chéri, dont il n’aurait jamais accepté de se séparer.

« Il n’y avait pas d’autre vérité que mon amour pour toi », lui déclare-t-il sur son lit de mort.

L’amour, tendre ou bourru, absent ou encombrant, est bien le fil rouge de la pièce. À travers le texte et la mise en scène d’Olivier Kemeid, Sasha Samar revit devant nous son enfance, son adolescence et ses premières années d’adulte en Ukraine soviétique, jusqu’aux retrouvailles tant souhaitées avec sa mère, Galina.

Délicat, sensible et lumineux, le comédien nous charme dès les premières minutes, alors qu’il tente de s’immiscer, en observateur critique venu du futur, dans la relation naissante entre Vassili et Galina. On s’attache à l’enfant de trois ans qui découvre l’Ukraine en train avec son père, au garçon qui veut devenir champion de hockey pour que sa mère le reconnaisse, au jeune homme angoissé qui s’apprête à faire son service militaire. Il règne sur scène une sincérité qui nous fait tout accepter, des scènes les plus fantaisistes aux monologues les plus sombres.

Créée en 2012 au Théâtre d’Aujourd’hui, la pièce a connu un vaste succès public et critique à travers le Québec. Elle revient dans un contexte géopolitique chargé, deux ans après le début d’une guerre en Ukraine qui s’enlise. De la relation avec la Russie, on ne parle pourtant presque pas, ou très peu, dans cette œuvre qui se situe presque entièrement dans l’ère soviétique. Mais son ombre plane dans l’allusion à la famine orchestrée par Staline dans les années 30, ou encore dans la réaction hostile d’une téléphoniste russe, face à des Ukrainiens fraichement indépendants.

QUELLE PLACE POUR LA GRANDE HISTOIRE?

Moi, dans les ruines rouges du siècle raconte avant tout l’histoire de Sasha Samar. L’Histoire, avec un H majuscule, offre quant à elle une toile de fond fascinante, que l’auteur a choisi de divulguer par touches inégales.

La catastrophe nucléaire de Tchernobyl fait l’objet d’un poignant monologue, alors que l’effondrement du système soviétique est à peine abordé. Les déboires d’Anton, l’ami comédien qui incarne Lénine et dont les contrats commencent à disparaitre, ou la méfiance de son ex-petite amie, Ludmilla, envers la pérestroïka, nous indiquent la fin d’une époque. Mais mieux vaut venir équipé de quelques connaissances sur l’U.R.S.S. et son fonctionnement, ce que le Théâtre Duceppe facilite d’ailleurs à travers plusieurs capsules, disponibles sur son site.

C’est aussi l’humour qui nous transporte dans ces fameuses ruines rouges. L’humour qui permet de raconter avec distance la propagande officielle (recrée avec verve), le climat de peur qui règne après Tchernobyl, mais aussi le drame intime d’une famille éclatée.

En 1996, Sasha Samar s’est installé à Montréal. Un choix lié à son admiration pour Guy Lafleur, qu’il a découvert dans les années 80 en écoutant la Coupe Canada, restituée dans la pièce à travers la narration savoureuse de la très patriotique commentatrice radio soviétique.

D’une histoire extraordinaire, dans un contexte lui aussi particulier, Olivier Kemeid a su extraire l’universalité qui transforme la vie en art. Sasha Samar s’en est saisi. Douze ans après la première version, portée par les mêmes comédiens et deux nouveaux interprètes d’origine ukrainienne, la pièce trouve toujours son chemin vers le cœur.

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