Massive Attack au Centre Bell | Scarabée sensuel et destructeur
L’insecte géant de Massive Attack a posé ses pattes hier au Centre Bell, pour le spectacle «Mezzanine XX1». Initialement prévu en mars à la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, ce show a été reporté et aussi déplacé, la demande étant forte. Cette musique aguichante à laquelle étaient superposées des projections troublantes ont créé une atmosphère ambiguë, oscillant entre sensualité et angoisse. Récit d’un centre Bell pris en otage par une entité effrayante, noble et drapée de noir.
Trop de reprises?
Mezzanine, troisième album du groupe, fêtait l’année passée son 20e anniversaire. Cet album innovateur est celui qui a propulsé la carrière de Massive Attack à l’international, mais qui a aussi presque brisé le groupe. Le trio est devenu un duo après le départ de Mushroom. L’anomalie de ce disque dans le paysage musical d’alors a contribué à façonner le son qu’on étiquettera plus tard de «Bristol Sound».
Devant un Centre Bell médusé, pas tout à fait complet, Massive Attack a fait un show d’environ une heure et demie, le tout sans tomber dans la nostalgie mièvre. Mezzanine a été joué au complet, dans le désordre, et fut parsemé de reprises. Les fans ont sans doute apprécié l’effort fait pour celles-ci, mais peut-être étaient-elles un peu trop nombreuses… Remplissage ou pas? Quoi qu’il en soit, certaines détonaient un peu par rapport à l’ambiance lourde jetée par le groupe. Par exemple, See a Man’s Face (qui tirait vers le reggae), ou Rockwrok, une chanson d’Ultravox presque joyeuse… Le groupe a tout de même livré une «prestation marathon», sans première partie ni entracte. Et sans aucun mot à son public… Pas en arrivant, pas en partant. Jamais.
D’ailleurs, beaucoup de musiciens sont sur scène. Le fait qu’il y ait deux batteurs est un peu étonnant, mais cela rajoute de la puissance. La basse sonne IMMENSE (ça vaut la peine de mettre ça en majuscules) et tous les instruments sont découpés au couteau. Exchange a marqué les esprits avec sa contrebasse, comme sur l’album. Les voix des invités Horace Andy et Elizabeth Fraser (de Cocteau Twins) ont amené un peu de légèreté dans ce sas d’angoisse, comme si notre scarabée noir et imposant pouvait enfin voler librement, pendant quelques instants fugitifs… En gros, tous les chanteurs ont offert d’excellentes performances vocales, Andy esquissant même quelques pas de danse lorsqu’il finit ses parties. Est-ce que 20 ans ont réellement passé? Ça ne paraît pas.
Aucune échappatoire possible
La légèreté n’existe pas ici. Massive Attack est considéré comme un des groupes anglais les plus engagés, et c’est communiqué à travers des projections d’archives alarmistes (créées en collaboration avec le réalisateur de documentaires Andrew Curtis), où plusieurs sujets anxiogènes sont à l’honneur. Multiples morts «en direct», informations personnelles à l’ère numérique, théories du complot, conspiration des gouvernements qui nous espionnent, divertissements instantanés ridicules, noms de médicaments/drogues…
Des phrases en français (!) apparaissent, comme: «En dehors du cirque des plaisirs, d’interminables guerres se poursuivent», pour souligner toutes les tactiques créées pour distraire la masse. On se croirait presque dans Orange Mécanique, au moment où le personnage principal subit un brainwash… Impossible d’échapper à ces images atroces et traumatisantes, que le groupe nous jette en pleine face.
Oppositions troublantes
Des chuchotements sinistres mais envoûteurs. Une sorte de claustrophobie séductrice, quasi élégante. On ne sait pas où se situer, entre tous ces messages engagés et politisés, un sentiment de fin du monde et une trame sonore sexy, qui serpente lentement… On ressort confus, mais Massive Attack joue sur cette ambiguïté à merveille. L’esprit se promène, ne sachant pas si on doit être subjugué par la musique et ses murmures, ou alors complètement terrorisé par les images résumant bien la paranoïa de notre ère.
Mezzanine est une bébitte qui provient du sous-terrain. Elle nous grimpe dessus sans prévenir, nous perce l’épiderme, mais on ne peut s’empêcher de la laisser faire, fasciné. Avec ses mandibules, cette créature creuse lentement un chemin dans les âmes… Une oppression sensuelle, impitoyable, qui s’installe dans la chair comme une mort aphrodisiaque.
Un spectacle vraiment troublant et réussi de la part des pionniers du trip hop.
- Artiste(s)
- Massive Attack
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Centre Bell
- Catégorie(s)
- Downtempo, Electro, Experimental, Trip-hop,
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