Orchestre Métropolitain

L’Orchestre Métropolitain | Le Château de Barbe-Bleue : 60 minutes d’opéra hongrois… sans sous-titres!

C’est un programme intense et au premier abord peu accessible qui attendait le public de la Maison Symphonique ce vendredi soir : Adagio pour cordes (op. 11) de Samuel Barber, puis Concerto pour violon n.1 (Sz. 36) de Béla Bartók et enfin Le Château de Barbe-Bleue (op. 11 ; Sz. 48), opéra en un acte de Béla Bartók également.  Encore une fois, les musiciens de l’Orchestre Métropolitain et leur chef Yannick Nézet-Séguin ont sublimé les trois pièces et nous ont permis de redécouvrir la musique du compositeur hongrois. La soirée s’est terminée sur le dévoilement de la saison 2019-2020 de l’orchestre.

 

Première partie en un temps

C’est une habitude pour Nézet-Séguin de venir présenter, au début de concert, les pièces qui seront jouées et de justifier par la même occasion les choix de programme qui ont été faits. Les explications du chef d’orchestre ont été centrées autour d’un parti pris audacieux : l’enchaînement des deux premières pièces de la soirée sans interruption (à la grande tristesse des enrhumés de la Maison Symphonique).

Le concert a donc commencé avec un greatest hit de la musique classique : l’Adagio pour cordes (op. 11) de Barber. Ce morceau est caractérisé par un thème poignant qui se décline en variations. L’interprétation de l’Orchestre Métropolitain était loin des clichés mélodramatiques de cette œuvre : Yannick Nézet-Séguin l’a dirigée avec une pudeur et un contrôle qui ont transformé l’adagio. Le thème, qui a tendance à s’emballer dès les premières mesures, est resté parfaitement égal pendant de longues minutes, avant de s’abîmer dans un climax déchirant pour retomber ensuite dans une douceur lancinante.

À la lumière de cette interprétation, le choix d’enchaîner directement avec le Concerto pour violon n.1 (Sz. 36) de Bartók était entièrement justifié.

Le public a eu la surprise de  voir un violoniste sortir silencieusement du dernier rang de l’orchestre pendant les dernières mesures du Barber. Le jeune soliste en résidence Kerson Leong, qui a souhaité interpréter l’Adagio de Barber avec les autres musiciens, fait le choix de rester intégré à l’orchestre en s’installant debout entre les violons et Yannick Nézet-Séguin. La douceur du premier mouvement, qui commence sur une exposition soliste du thème, accompagné ensuite par les violons pianissimo, est mise en avant par un chef d’orchestre incroyablement expressif et permet de découvrir une facette méconnue du compositeur hongrois.

La justesse d’interprétation du soliste Kerson Leong est impressionnante. Aussi à l’aise dans les notes tenues du premier mouvement que dans les traits plus virtuoses du deuxième, Kerson Leong offre une performance très délicate, maîtrisée et vivante. L’orchestre qui l’accompagne, très attentif à son chef, crée des couleurs d’une belle richesse. Le deuxième mouvement permet de reconnaître quelques caractéristiques de la musique de Bartók : un rythme saccadé, l’intégration de thèmes hongrois folkloriques et une orchestration très personnelle. La douceur et la subtilité de l’interprétation ont présenté un concerto peu joué, qui met en lumière un Béla Bartók amoureux et méconnu.

 

L’opéra à la Maison Symphonique

Après une très longue entracte, le chef d’orchestre revient sur scène un peu gêné : en raison de problèmes techniques, l’opéra de Bartók ne sera pas surtitré. « Mais on n’a pas vraiment besoin de sous-titres pour une œuvre aussi expressive », avance Nézet-Séguin devant un public dubitatif qui va donc assister à soixante minutes d’opéra chanté en hongrois, sans interruption.

Le chef raconte rapidement le conte tragique du Château de Barbe-Bleue : le duc Barbe-Bleu discute avec sa jeune nouvelle épouse, Judith. Celle-ci réclame l’ouverture des sept portes qui entourent la salle du château dans laquelle ils se trouvent, ce que fait Barbe-Bleue à contre-cœur. Elle découvre alors successivement la chambre des tortures, la salle d’armes, la salle du trésor, le jardin puis le royaume de Barbe-Bleue. En insistant encore dans un moment particulièrement dramatique, elle convainc Barbe-Bleue d’ouvrir les deux dernières portes. La sixième s’ouvre sur un lac de larmes, tandis que la dernière dévoile les précédentes épouses de Barbe-Bleue, enfermées dans cette pièce et que Judith, horrifiée, ne tarde pas à rejoindre.

La performance des deux solistes, la mezzo-soprano Michèle Losier et la basse John Relyea, est en effet très expressive, à la fois juste et entraînante. Tandis que Barbe-Bleue est au début de l’opéra extrêmement distant – peut-être un peu trop – il cède aux caprices de sa jeune épouse dans un amour et une douleur frappants. L’absence de surtitrage offre aussi une expérience dont on n’a plus l’habitude : celle d’accepter d’écouter une longue pièce chantée sans la comprendre, en se laissant bercer par la musique.

L’orchestration de Bartók montre d’ailleurs une belle continuité sonore. L’espace de la Maison Symphonique est entièrement habité par l’Orchestre Métropolitain en effectif augmenté : on compte huit trombones et huit trompettes au lieu des quatre habituels, ainsi que la présence de deux harpes, un célesta et l’orgue de la Maison Symphonique. Si quelques tuttis fortissimo heurtent parfois l’oreille à cause de leur force, la tension dramatique de l’opéra justifie cependant cette démesure.

En revanche, la présence d’effets sonores (le vent et le tonnerre s’invitent parfois dans les hauts-parleurs de la salle) et d’effets visuels (l’apparition des sept portes projetées sur les murs de la salle, dans des couleurs très vives et un style surprenant) ne semblait pas nécessaire : les portes ont été un bon guide pour le public des différents moments de l’opéra mais elles ne s’intégraient pas visuellement à la pièce ; le son du tonnerre et du vent aurait pu quant à lui provenir directement des musiciens sur scène.

Encore un concert réussi pour l’Orchestre Métropolitain, qui a fait le choix de présenter un programme audacieux et peu joué en le rendant accessible au public, grâce à des explications pertinentes et une interprétation juste et délicate.

Cette longue soirée s’est terminée sur un cocktail offert à l’occasion du dévoilement de la saison 2019-2020 qui, déclare Nézet-Séguin avec fierté, « mettra à l’honneur des femmes : solistes, compositrices et cheffes ». L’occasion de (re)découvrir de grandes artistes dans un programme très axé sur la période romantique.

Vos commentaires