crédit photo: Pierre Langlois
L'Orchestre d'hommes-orchestre

L’orchestre d’hommes-orchestres au Théâtre Outremont | Une performance scénique de haute volée à saveur de Tom Waits

C’est tout une soirée que nous a offert l’Orchestre d’hommes-orchestres dans un théâtre Outremont chaleureux et très plein avec comme prétexte un concert placé sous la musique de Tom Waits. Mais c’est aussi un spectacle à saveur déjanté où la joyeuse troupe nous présente une mise en scène ébouriffante chargée de trouvailles toutes plus originales les unes que les autres, tant visuellement que musicalement.

Avec comme prétexte la musique de Tom Waits, le collectif de l’Orchestre d’hommes-orchestres s’accapare l’univers bigarré et tout croche du musicien en reprenant les instrumentations hors-normes et le côté dépareillé voir dépravé pour en faire un spectacle entre concert et performance des arts de la scène.

Fondé à Québec en 2002, l’Orchestre d’hommes-orchestres est un collectif d’artistes-musiciens indisciplinés composés ce soir de Bruno Bouchard, Gabrielle Bouthillier, Jasmin Cloutier, Simon Elmaleh, Danya Ortmann et Patrick Ouellet à la conception et la performance.

Il est impossible de résumer la soirée rapidement tant il se passe de choses sur un titre, mais je vais essayer de vous faire revivre le moment à travers quelques vignettes.

À la gauche de la scène, deux femmes habillées dans les styles des années 1940 sont assises et ponctuent les titres de multiples façons que ce soient en faisant les chœurs à la façon des Triplettes de Belleville aux travers de porte-voix ou bien en rythmant la musique avec des objets lancés sur des poêles ou bien des trappes à souris déclenchés au bon moment. Il y a aussi une toune où l’une s’enfile goulûment une tablette de chocolat sous le regard concupiscent de sa voisine. Et aussi une impression de baiser au rouge à lèvres sur un vieil écran de télévision.

Oui ça fuse de partout et tout le temps, de tout bord de la scène. Assis sur le devant, il y a un guitariste qui paraît lutter pour garder le contrôle de son instrument au milieu de la tempête permanente. À ses côtés, une membre joue de la scie musicale, tape sur une antique bassine métallique en gants de boxe ou chante un titre alors qu’il se fait copieusement minoucher par un autre.

En arrière, un membre principalement bassiste joue aussi bien de la contre-bassine (une version rudimentaire de la contrebasse avec une corde montée sur un manche et relié à une bassine comme caisse de résonance) que d’une basse électrique décorée ou cachée autour d’une caisse en bois. Pour un titre, il lance aussi quelques échantillons à la main depuis un antique gramophone!

Principal chanteur de la cohorte, un véritable homme-orchestre avec la grosse caisse dans le dos et les cymbales sur le dessus de la caisse qui me rappelle immanquablement le Rémy Bricka de mes jeunes années (cliquez ici pour découvrir ou revoir Rémy Bricka) avec le côté mièvre en moins, parce que Tom Waits, tsé, c’est pas de la variété quétaine. Et oui, la grosse voix éraillée à la Waits est bien présente et il cultive son joyeux côté détraqué et exubérant, se démène comme quatre à rythmer la musique et à livrer une performance notable comme sur I Don’t Wanna Grow Up accompagné d’un simple piano jouet.

 

La scène est un capharnaüm d’objets hétéroclites et vintage, comme un crâne de bœuf où sont plantés des archets usés. Et si le plateau du théâtre Outremont est spacieux, l’action du collectif est concentrée dans un petit carré du centre de la scène où la promiscuité des musiciens donne lieu à des scènes cocasses et des rapprochements multiples. Par exemple, les quatre hommes se retrouvent par exemple derrière un cadre et chantent un titre où une main joue avec la bouche de son voisin tandis qu’une autre prend des selfies à l’ancienne avec un éblouissant flash. Une dernière main maintient une lampe en guise d’éclairage et les autres mains tiennent le cadre.

Pour terminer le spectacle en apothéose au milieu d’une pluie incessante de confettis et serpentins, les musiciens se partagent l’utilisation d’un accordéon sur la pièce Lucky Day : l’une s’occupe de bouger le soufflet tandis que deux autres jouent sur le clavier et qu’un autre chante en animant les paroles de ses mains libres dans le peu d’espace libre qu’il lui reste.

Si j’ai pu apprécier toute la mise en scène et la folie de la performance, le répertoire de Tom Waits parait comme un prétexte à un assemblage hétéroclite et excentrique d’objets et de mise en scène décalés en accord avec les éléments du vaudeville et du cabaret de l’œuvre de Waits, un univers surréaliste nous rappelant le Théâtre de l’Absurde.

Même si l’interprétation est impeccable avec une certaine imperfection assumée à la Waits, il reste que la musique passe souvent en arrière-plan face à l’aspect comédie et au comique de situation d’autant plus que ce n’est pas le répertoire le plus connu qui est privilégié. Une bonne partie du public présent semblait être là plus pour la prestation scénique impressionnante de l’ensemble que pour le répertoire de Tom Waits. Et si la soirée était particulièrement plaisante, il est fort probable que dans le futur, j’oublierai que Tom Waits était le fil conducteur principal de la soirée.

À la fois étonnant, comique, émouvant et impressionnant, il est difficile de résumer avec justesse toute l’inventivité et la richesse de la mise en scène du spectacle. Et si parfois la musique se perd au milieu de cette performance et que l’on rate aussi quelques éléments de la mise en scène alors que l’on cligne des yeux, on ressort du spectacle revigoré et joyeux, les yeux plein de scènes cocasses et impossibles. Un concert où l’univers musical de Tom Wait est un prétexte à un spectacle euphorisant où les arts de la scène sont mis en avant par des artistes aussi efficaces et performants qu’émouvants et talentueux.

 

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