crédit photo: Jérôme Daviau
Orchestre National de Jazz de France

L’OFF JAZZ 2022 – Jour 2 | ONJ de France : de la musique contemporaine de haut vol avec la présence d’une mystérieuse boîte noire

Le concert de vendredi soir de L’OFF Jazz est celui de l’Orchestre National de Jazz de France, qui nous présente Ex Machina, composée par Steve Lehman Et Frédéric Maurin.

Conçu par les compositeur et saxophoniste américain Steve Lehman et Frédéric Maurin, en étroite collaboration avec l’IRCAM (Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique en France), Ex Machina explore des directions musicales inédites, en développant les interactions en temps réels entre les solistes et la machine au sein d’un grand ensemble de jazz. Ces deux musiciens partagent, en effet, nombre de problématiques esthétiques et d’ambitions qui les ont amenés à emprunter des cheminements comparables dans leurs ensembles respectifs.

Fruit d’un travail avec l’équipe représentations musicales de l’IRCAM dirigée par Gérard Assayag, Ex Machina intègre des dispositifs créés à partir de l’environnement DYCI2 par Jérôme Nika dans le processus de composition et dans les improvisations des solistes en temps réel, l’ordinateur devenant, tour à tour, un générateur d’orchestrations électroniques pour les compositeurs et un partenaire d’improvisation pour les musiciennes et musiciens.

La table est mise, le jazz lorgne fortement vers la musique contemporaine en ce vendredi. À moins que ce soit la musique contemporaine qui emprunte au jazz. Car les compositions étaient vraiment ancrées dans la musique contemporaine avec des mesures asymétriques, de rapides volets de notes plus ou moins dissonantes et une forte présence des deux vibraphones, mais dans un format proche du jazz avec des solos d’instrumentistes.

Sous sa casquette des Expos, Frédéric Maurin dirige le grand ensemble français à dimension variable. Avec une dizaine d’instruments à vent, un trio standard piano / basse / batterie et deux joueurs de vibraphone, la scène est fortement remplie. J’ai d’ailleurs fait le très mauvais choix d’être au premier rang devant la haute scène pendant le premier set, ce qui m’a permis de contempler une unique rangée de pupitres avec parfois des têtes apparentes derrière ainsi que les dos du pianiste et du chef et de voir la prestation du premier vibraphoniste… En allant au balcon, la deuxième partie est bien plus le fun à voir en contemplant l’ensemble de la scène. On apprend de ses erreurs, parait-il…

Sur la dizaine de morceaux présentés vendredi, je mets en avant les solos inspirés de Steve Lehman au saxophone alto (à la composition aussi) ainsi que le trompettiste Jonathan Finlayson, les deux Américains de l’équipe. La longue et belle introduction à la flûte de Fanny Ménégoz sur un des derniers morceaux est à mettre en exergue ainsi que les interventions éclairées de Catherine Delaunay à la clarinette et au cor de basset. Je ne peux passer sous silence la machine (humaine) de groove qu’est la toujours excellente contrebassiste Sarah Murcia que j’avais découverte au siècle dernier dans ses débuts avec le groupe Varans de Komodo et que j’écoute toujours. Oui, parler de groove dans un contexte musical aussi sophistiqué que ce soir, qui l’eût cru ? Et pourtant, elle assoit l’assise rythmique de l’orchestre avec la complicité du batteur Rafaël Koerner.

Le jeu très présent des vibraphonistes Stéphan Caracci et Chris Dingman n’est pas sans m’évoquer la musique de Frank Zappa et sa mythique vibraphoniste Ruth Underwood. D’ailleurs, le Zappa de la fin, période The Yellow Shark (1993), a bien des similitudes avec les compositions présentées ce soir. Pour l’apport de la machine, c’est plus vers Jazz From Hell (1986) avec l’utilisation du synclavier (un des tout premiers synthétiseurs numériques pilotés par ordinateur) qui permettait à Zappa de générer des lignes orchestrales impossibles à jouer par l’humain.

C’est quoi le DYCI2 ?

Concernant les interactions générés par ordinateur sus-nommé DYCI2, on en apprendra malheureusement rien de plus pendant la soirée. Un peu de recherche sur internet nous apprend que DYCI2 est l’acronyme de DYnamiques Créatives de l’Interaction Improvisée, une sorte d’intelligence artificielle qui est là pour «colorer stylistiquement l’individualité numérique des agents ou situer l’expérience dans un genre». Concernant l’autonomie de ce système, la présence de Dyonisos Papanicolaou à la gestion de la machine nous laisse avec encore plein d’autres questions sur ce qu’il faisait et comment…

Pat Metheny, que l’on avait pu écouter le mois dernier, était notamment accompagné de son orchestrion, une sorte de boîte à musique automatisée, vraisemblablement piloté par ordinateur. Si sa machine était programmée d’avance, elle avait au moins l’avantage d’avoir des lumières qui s’allument au déclenchement des différentes composantes de son. Au moins, ça avait l’avantage d’avoir un aspect visuel sur la boîte noire, même si on ne comprenait pas tout. Et c’est ce qui a manqué ce soir avec ce mystérieux système de l’IRCAM. Avec 17 personnes sur scène, il était souvent difficile de déterminer si certaines sonorités sortaient d’un des musiciens ou de la patente infernale. C’est tout de même frustrant d’écouter des sons venant d’on ne sait où. Ou c’est juste moi qui ait besoin de visuel ?

L’ONJ français est une source riche en expérimentation. Je les avais vu en 2006, dirigé par le vibraphoniste Franck Tortiller réinterpréter la musique de Led Zeppelin. Mais vendredi soir, la musique était contemporaine et c’est une expérience vraiment réussie avec un répertoire moins accessible et qui peut être déroutant mais qui vaut largement l’effort d’écoute. Seul point négatif, je regrette que la boîte noire informatique qui « accompagnait » l’orchestre ait conservé pas mal tous ses mystères, voire même sa pertinence dans ce contexte.

Composition de l’Orchestre National De Jazz Français

Frédéric Maurin – Compositions, direction

Steve Lehman – Compositions, saxophone alto

Fanny Ménégoz – Flûte, flûte alto, piccolo

Catherine Delaunay – Clarinette, cor de basset

Julien Soro – Saxophones ténor et soprano, clarinette

Fabien Debellefontaine – Saxophone baryton, clarinette, flûte

Jonathan Finlayson – Trompette

Fabien Norbert – Trompette

Daniel Zimmermann – Trombone

Christiane Bopp – Trombone

Fanny Meteier – Tuba

Chris Dingman – Vibraphone

Stéphan Caracci – Marimba, vibraphone, glockenspiel

Enzo Carniel – Piano

Sarah Murcia – Contrebasse

Rafaël Koerner – Batterie

Dyonisos Papanicolaou – Électroniques

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