«Les serpents» à l’Espace GO | Le nouveau Cycle du Théâtre de l’Opsis fouille les paroles de femmes
Après avoir exploré la Scandinavie, le Théâtre de l’Opsis entame un nouveau cycle: les territoires féminins. Il présentera « Les Serpents », pièce écrite par Marie NDiaye, du 12 novembre au 7 décembre à l’Espace GO. Nous avons voulu en savoir plus sur cette pièce au texte énigmatique, ainsi que la concrétisation de celle-ci. Sors-tu.ca vous présente son entretien avec la metteure en scène Luce Pelletier, jointe au téléphone quelques semaines avant la première.
Un univers décalé, entre réalisme et onirisme
D’abord, Les Serpents, c’est quoi? Il s’agit d’une histoire de famille qui « pourrait être réaliste, mais qui dérive vers le conte », aux dires de Luce Pelletier. À l’occasion de la Fête Nationale française, Madame Diss (interprétée par Isabelle Miquelon) fait la route jusqu’à la maison de son fils, qui se trouve au beau milieu des champs de maïs. Toutefois, cela n’annonce rien de festif; elle se rend à la demeure de celui-ci pour tenter de lui emprunter de l’argent. Mais il n’a pas l’intention de la laisser entrer, ni de sortir lui-même…
Agissant en père surprotecteur auprès de ses enfants, il fait régner un climat de terreur. Seules son épouse actuelle, France (Catherine Paquin-Béchard) et sa première épouse Nancy (Rachel Gratton) ont le droit d’entrer et de sortir, et ce, un nombre limité de fois. Le tyran veille au grain, voulant prendre en défaut ceux qui l’entourent. Il est intrigant de constater que le personnage du « fils » n’a d’ailleurs pas de nom et n’est incarné par aucun acteur. Tapie dans l’ombre, sa menace plane sur les trois femmes.
Les serpents emprunte donc à la fois des éléments du réel et de l’imaginaire. Le texte incorpore beaucoup de métaphores corporelles et animales, par exemple, faisant questionner l’humanité des personnages. « Ça fait partie de l’étrangeté de la pièce. Ce n’est pas des discours clairs, nets et précis, ni des engueulades québécoises à la Michel Tremblay. Ça parle par métaphores, il faut donc fouiller, fouiller, fouiller », précise Luce Pelletier.
La fascination pour l’oeuvre de Marie NDiaye
La pièce Les Serpents, de Marie NDiaye, a été publiée en 2004. Cette autrice prolifique a écrit 10 textes pour le théâtre, 17 romans et nouvelles (dont un adapté en bande dessinée), ainsi que trois romans jeunesse. La femme de lettres explore les quêtes et troubles identitaires, à travers des récits familiaux, de filiation, d’origine et de migration. Parmi ceux-ci, Trois femmes puissantes (2009) a connu un grand succès. Il n’était initialement tiré qu’à 15 000 exemplaires, mais il s’est vu décerner le Prix Goncourt. Grâce à l’engouement des lecteurs, le livre a eu un tirage total de 440 000 exemplaires. Luce Pelletier a d’abord découvert Marie NDiaye en lisant ce livre. « Je suis allée dans ses pièces de théâtre, et je suis tombée en amour avec ce texte-là. Ce n’est pas un théâtre facile, ni un téléroman sur scène. »
Marie NDiaye a obtenu de nombreux prix, entre autres le Prix Fémina en 2001 pour son ouvrage Rosie Carpe, ainsi que le Prix du Théâtre de l’Académie française en 2012 pour l’ensemble de son œuvre. Cette renommée a attiré Luce Pelletier: « Comme autrice de théâtre, c’est la première femme à avoir eu un texte contemporain à la Comédie-Française [Papa doit manger, en 2003], ce qui est très rare. C’est quelqu’un qui est très bien coté. Je me suis dit: » Tiens, ça vaut la peine, tant qu’à ouvrir un cycle, de partir avec une grosse pointure. » »
Par la suite, elle a donc lu toute l’oeuvre théâtrale de l’autrice, et en parcourant Les Serpents, elle a remarqué qu’il y avait « quelque chose de pas banal, d’inusité dans ce texte-là qu’on ne voit pas souvent.» Elle mentionne que « c’est un théâtre assez cruel, qui fait un peu peur, qui raconte une histoire qui est somme toute simple. »
« C’est presque un conte, l’homme est nommé comme un ogre, on part dans des paraboles… […] Ça s’en vient vite comme du David Lynch, ou comme des moments étranges dans des films un peu inquiétants », détaille-t-elle, à propos de la pièce.
Un théâtre de parole
Rachel Graton, Isabelle Miquelon et Catherine Paquin-Béchard camperont les trois femmes autour desquelles l’histoire de Les Serpents s’articule. « Ce sont trois actrices très solides. C’est un théâtre de parole, avec beaucoup, beaucoup de mots… Marie NDiaye se libère avec des mots. Je ne voulais pas des actrices qui avaient des difficultés de diction ou des problèmes d’élocution… » Luce Pelletier précise en outre que la pièce passe souvent du coq à l’âne. « Le registre change. Ça commence très drôle, ça s’en va tragique, ça s’en va un peu épeurant… Ça s’en va un peu dans tous les sens. Alors, j’avais besoin d’interprètes capables de faire ça en criant ciseau. »
Par ailleurs, le décor s’inspirera fortement du surréalisme. « C’est tout déformé, explique la metteure en scène. On est presque dans un conte, dans un monde de rêve, avec des couleurs qui n’ont pas de bon sens ». Une grande toile peinte constituera le décor, où il y a « une maison qui est comme le quatrième personnage, parce que les femmes veulent [y] entrer. C’est la peur de l’homme de la maison. C’est aussi le vide, parce qu’ils sont au bout du bout du monde! ». Vraiment intrigant.
« Fouiller les paroles de femmes » à travers le monde et les âges
Les cycles du Théâtre de l’Opsis se déroulent toujours sur quatre ans, et comprennent entre 6 et 8 pièces. Elle précise ainsi son mandat, concernant le Cycle des territoires féminins: « Je cherche dans les textes écrits par des femmes, à travers le monde et à travers les âges. » Luce Pelletier déplore la trop petite place prise par les femmes dans le milieu théâtral, surtout les metteures en scène et les autrices. « Au niveau des maisons d’édition reconnues en France ou en Europe, pour six noms de gars, il y a une fille éditée, dénonce-t-elle. Il y a vraiment une lacune. Parmi les textes auxquels j’ai accès, comme lectrice internationale, très peu de textes de femmes sont édités. Ça m’a vraiment piquée, et j’ai décidé de fouiller les paroles de femmes.»
La metteure en scène présentera d’ailleurs en mars et avril 2020 cinq lectures publiques, dans les Maisons de la culture Plateau Mont-Royal et Rosemont–La Petite-Patrie. À travers celles-ci, on pourra y découvrir cinq textes provenant du monde entier. Explorés par différent.e.s metteur.e.s en scène, ils permettront de mettre en valeur des écritures féminines contemporaines.
Transformations: quelle peau revêtir?
Bref, les créatures rampantes s’incarneront en formes humaines, pendant un instant, avec Les Serpents. Elles prendront racine dans le réel, mêlant fantastique et quotidien, ainsi que civilité et barbarie, dans des métamorphoses qui transfigurent ce qu’on pense déjà connaître.
À voir à l’Espace GO dès le 12 novembre. Il est possible de se procurer des billets juste ici.
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