Les sept branches de la rivière Ota fait scintiller le Diamant de Robert Lepage à Québec
L’événement était historique, alors que le spectacle-fleuve Les Sept branches de la rivière Ota, de Robert Lepage et sa compagnie Ex Machina, baptisait samedi les planches de la salle Le Diamant, inaugurée officiellement il y a quelques jours à peine en présence de la ministre de la Culture et du maire de Québec. La méga-production, qui court sur sept heures de représentation, soit de 15h à 22h en incluant les entractes, a émerveillé les quelque 650 spectateurs déjà convertis à la manière Lepage en création multidisciplinaire. S’il est vrai que les théâtres ont une âme et recèlent de fantômes en leurs murs, ceux du Diamant à venir seront heureux.
La monumentale saga des Sept branches, issue d’un collectif de 12 auteurs en plus de Robert Lepage, a connu sa première mouture au réputé Festival d’Édimbourg en 1994, alors que la critique l’avait descendue en flammes. Défendant à tout crin sa démarche artistique en tant que work-in-progress, Robert Lepage et ses comédiens ont continué à allonger le texte et à développer son traitement scénique au gré des étapes de création subséquentes présentées à Londres, Paris, Stockholm, Prague et Vienne, avant d’arriver en 1995 à Hiroshima, la ville japonaise au cœur du récit, pour commémorer en le sublimant le triste 50e anniversaire du lancement par l’armée américaine de la première bombe atomique, une ignominie faisant honte à l’humanité tout entière.
Le récit de la pièce commence par l’intrusion d’un militaire américain à l’accent texan débarqué à Hiroshima avec pour mission de prendre des photos des dégâts laissés par le bombardement. Il fera la rencontre, entre autres, d’une sensuelle « hibakusha », nom donné par les Japonais aux rescapés irradiés par la bombe. Une liaison se produira, dont on apprendra les suites beaucoup plus tard. Tels les sept embranchements de la rivière Ota se jetant dans la mer intérieure de Soto, la pièce prend des raccourcis autant que des détours, avec ses sept histoires constituantes et un nombre incalculable de personnages multilingues qui nous font voyager entre l’Asie, l’Europe et l’Amérique du Nord.
* Photo par Elias Djemil-Matassov.
Ainsi, l’histoire se déplace à New York dans une maison de chambres abritant artistes sans le sou et junkies irrécupérables; à Amsterdam alors que le suicide assisté était permis quand le sida tuait encore; à Osaka, comme une revanche nippone avec l’Exposition universelle de 1970; en Tchécoslovaquie, pays de l’architecte qui a signé le Dôme de Hiroshima, seule structure ayant résisté à la destruction de la bombe radioactive. Chaque sous-intrigue a un lien de près ou de loin avec les précédentes, dans un enchevêtrement à forte teneur de dérision.
Parmi les 10 comédiens, le personnage insipide de Walter, diplomate canadien incarné par Richard Fréchette, un fidèle des débuts de Robert Lepage, est impayable en ambassadeur en devenir. Ada, le rôle de la merveilleuse soprano Rebecca Blankenship, fascine par son naturel grâcieux, alors que le personnage de danseur aventurier venu au Japon pour s’initier au butô est joué pour une première fois dans l’écurie de Lepage par le jeune comédien Philippe Thibault-Denis.
Des références à la Shoa, à l’opéra tragique Madama Butterfly, au profil tordu du grand écrivain japonais Yukio Mishima, aux arts martiaux millénaires, aux monastères zen aussi bien qu’au duo comique américain Abbott and Costello, et d’un mauvais Feydeau joué au Japon par des acteurs québécois médiocres, tout y trouve sa place, entre le ton léger et anecdotique et le gravissime, dans ce casse-tête mené rondement par une mise en scène qui frise le génial.
* Photo par Elias Djemil-Matassov.
Même chose pour les décors ahurissants d’inventivité de Carl Fillion, avec ses panneaux coulissants compartimentés qui ne cessent de se métamorphoser sous nos yeux selon les lieux évoqués, et ses brillants jeux de miroirs. La conception tout aussi prodigieuse de la musique et de l’environnement sonore par Michel F. Côté et le musicien Tetsuya Kudaka ponctuent à la seconde près le rythme du jeu en appuyant, telle une respiration de tambours, de percussions et de flute, les atmosphères tout au long de cette immense fresque théâtrale qui nous transporte constamment ailleurs.
Un seul bémol vient des trop nombreuses interruptions du spectacle. Avec ses trois entractes, dont un de 45 minutes pour manger, et ses deux pauses, il faut faire l’effort de se remettre dans le bain et cela nuit à la concentration du spectateur qui en veut toujours plus. Car la preuve est faite que le vaste répertoire de Robert Lepage, avec son style d’une telle liberté créatrice, dans ses pièces épiques comme dans ses solos intimes, ont un pouvoir dramaturgique qui ne se perd pas avec le temps.
Les sept branches de la rivière Ota est une coproduction d’Ex Machina avec le Festival international de théâtre A. Tchekhov de Moscou, et le National Theatre de Londres. Des supplémentaires à Québec ont été ajoutées avant même la première, ce qui ne manque pas de bien polir toutes les facettes de ce nouveau Diamant dédié à la pure magie des arts de la scène. Et c’est connu, les diamants, surtout de cette taille, sont éternels.
- Artiste(s)
- Les Sept branches de la Rivière Ota, Robert Lepage
- Ville(s)
- Québec
- Salle(s)
- Le Diamant
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