Les fées ont soif (de Denise Boucher) au Rideau Vert | À la bonne vôtre!
Il fallait toute une dose de courage et de témérité de la part de la directrice du Théâtre du Rideau Vert pour ramener sur scène, 40 ans plus tard, la pièce de Denise Boucher qui avait fait tant de grabuge à sa création au TNM. Encore une fois, Madame Filiatrault fait la démonstration de son grand flair artistique. Si bien que la première de la pièce à scandale s’est déroulée jeudi soir sans anicroche, et qu’aux 26 représentations prévues au calendrier du Rideau Vert, toutes déjà à guichets fermés, se voit ajouter une série de 14 supplémentaires. Comme quoi les fées ont encore soif.
L’attaché de presse du Rideau Vert, Francis Tremblay, disait au lendemain de la première : « Un seul groupe, Pro Vie (Campagne Québec Vie), a publié un article qualifiant la pièce de blasphématoire, mais c’est très marginal. Sinon, l’accueil est phénoménal et très positif. »
Tout le contraire donc qu’en 1978 au TNM, qui avait pourtant présenté deux ans plus tôt La nef des sorcières, une manifestation féministe dont le texte revendiquait, sous la plume de six auteures réunies par la comédienne Luce Guilbault, une plus juste place faite aux femmes dans la société. Sauf qu’avec Les fées ont soif, Denise Boucher s’en prenait directement cette fois à la mainmise de la religion sur la vie des femmes s’en prenant au patriarcat dominant, et allant jusqu’à déboulonner la statue de la Sainte Vierge dans un douloureux processus de libération.
La droite religieuse avait alors réagi avec virulence, multipliant les pétitions, les intimidations sournoises, les injonctions et les manifestations hostiles à l’entrée du théâtre pour que la pièce soit retirée de l’affiche. Au surplus, le Conseil des arts du temps se refusait à toute subvention pour qu’existe la pièce mise en scène par Jean-Luc Bastien, et avait presque réussi, n’eut été de la fermeté du directeur artistique du TNM à l’époque, Jean-Louis Roux.
Poussée à l’extrémisme par les Jeunes Canadiens pour une civilisation chrétienne, un mouvement radical originaire du Brésil, et les accusations virulentes de quelques groupuscules obtus d’ici, l’affaire était allée devant les tribunaux, et jusqu’en Cour suprême, avant d’être déboutée. Mais le TNM s’était retrouvé avec des frais d’avocats frôlant les 50 000 dollars, une somme restée considérable encore aujourd’hui pour la survie d’un théâtre.
Une douleur toujours présente
Même si le contexte n’est plus le même, il y a beaucoup de souffrance et d’injustice envers les femmes qui flotte entre les murs du Rideau Vert. Surtout que Sophie Clément, qui jouait dans la production originale aux côtés des courageuses Louisette Dussault et Michèle Magny, signe maintenant la mise en scène. Le texte de Denise Boucher est resté le même, mais le trio de femmes soldates est défendu par d’autres tout aussi convaincues du chemin qui reste à parcourir.
*Photo par Jean-François Hamelin.
Ce trio, infernal ou céleste, c’est selon, est composé de Marie, la mère au sens large, de Madeleine, la putain sans repentir sauf pour l’horreur du viol, et de la Statue, la vierge de plâtre de grandeur nature imposée comme modèle aux femmes depuis deux millénaires.
Visiblement, les trois comédiennes ont été bien dirigées par Sophie Clément n’ayant pas une vaste expérience en mise en scène, mais qui signe ici un travail absolument impeccable.
Si nous étions au cinéma, on pourrait dire que Bénédicte Décary crève l’écran en Madeleine et se mérite un Oscar. La comédienne, avec ses bottes de cuir noir à hauteur du genou, arborant une crinière de feu avec des boucles d’oreilles en forme de croix dorée, dégage une telle dose de sensualité dans son maintien et dans sa voix, y compris chantée, qu’elle séduit même dans les notes graves du texte.
* Photo par Jean-François Hamelin.
Caroline Lavigne en Statue est juste elle aussi. Alors que Pascale Montreuil en Marie, surprend avec une présence forte et nuancée. Vraiment, les trois font la paire.
La scénographe Danièle Lévesque, précédée d’une réputation de star dans sa discipline, signe un décor sobre avec ses pans de tissus sur les côtés, et cette énorme statue blanche qui trône sur la scène. La trame sonore originale conçue par Catherine Gadouas est interprétée live par les deux musiciennes de renom que sont Patricia Deslauriers et Nadine Turbide. Les maquillages et coiffures du toujours talentueux Angelo Barsetti, et les costumes inventifs de Linda Brunelle, tous ces grands artistes contribuent à la maîtrise scénique de l’enveloppement de la pièce qui marquera assurément l’histoire du Théâtre du Rideau Vert.
Dans son mot de l’auteure, Denise Boucher ajoute en N. B. : « Je n’ai pas oublié les mots SLAVE et Kanata. Mes amitiés à Robert Lepage. » C’est dire, à 84 ans, à quel point le féminisme qui a inspiré toute son œuvre, même en passant par la chanson Un beau grand bateau écrite pour Gerry Boulet, contribue encore à libérer les femmes d’une domination patriarcale tenace, sublimant la cause de sa vie d’écrivaine par du très bon théâtre qui transforme la pieuse formule du « Prends pitié de nous » par un vibrant et très éloquent « Prenons pitié de vous ».
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- Montréal
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- Théâtre du Rideau vert
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