Le reste vous le connaissez par le cinéma

Le reste vous le connaissez par le cinéma (de Martin Crimp) à l’Espace GO | Christian Lapointe joualise un peu fort…

L’auteur britannique contemporain Martin Crimp n’est pas un inconnu ici. C’est la deuxième fois, après « Dans la République du bonheur » en 2015, que le metteur en scène Christian Lapointe se mesure à son univers dramatique complexe avec la traduction de « The rest will be familiar to you from cinema », un mauvais titre inspiré de la tragédie classique « Les Phéniciennes » écrite par Euripide il y a plus de 400 ans avant notre ère et restée toujours aussi fascinante.

C’est même le troisième Crimp présenté au Théâtre Espace Go après La ville, mise en scène par Denis Marleau en 2014, et Le Traitement par Claude Poissant dès 2003.

D’abord créée en allemand à Hambourg en 2013, la traduction que met en scène aussi Christian Lapointe à Go actuellement ne fait pas que désacraliser un classique, comme cela arrive brillamment à l’occasion sur nos scènes avec les grands textes, en les modernisant avec l’apport d’une couleur et d’un souffle nouveau. Ici, la traduction paraît plutôt glisser vers le piège du gros joual à tout crin, ce qui détonne par rapport au moteur dramatique de l’œuvre d’origine qui a inspiré Crimp.

D’une richesse incommensurable en termes scéniques, Les Phéniciennes raconte comment Œdipe, ayant résolu le mystère du Sphinx, obtient en récompense la main de la reine Jocaste et le trône de la cité antique de Thèbes. Ils auront deux fils, Étéocle et Polynice, avant qu’Œdipe ne découvre que Jocaste est sa propre mère. Le thème de l’inceste dévoilé et la convoitise du pouvoir pour le pouvoir feront des deux frères de cruels rivaux aux armées puissantes se disputant le trône après l’en avoir écarté Œdipe. La suite démontre bien toute la force qu’exerce encore sur nous l’évocation des grandes figures de la mythologie grecque, si tordues soient-elles.

 

Christian Lapointe a choisi de transposer l’intrigue dans une salle de classe où le chœur, devenu ici « les filles » déguisées en cheer leaders, est dépourvu de tout coryphée faisant progresser l’histoire d’un pan à un autre, accompagnant le spectateur dans sa compréhension des enjeux et de leurs tensions. Difficile donc, en les voyant agiter leurs grosses boules rouges de meneuses de claques, de faire moins mythologique.

Pire encore, la distribution de la pièce paraît s’être formée sans flair artistique et discernement fertile. Nathalie Mallette, de petite taille, même en criant son texte comme souvent chez les autres interprètes, n’atteint pas l’envergure d’une reine qui en impose. Marc Béland en Créon, le frère de Jocaste, frise le ridicule dans son accoutrement au peignoir rouge et en sandales. La costumière Elen Ewing, habituellement si talentueuse, manque ici son coup royalement, c’est le cas de le dire.

 

Autre exemple : la comédienne Lise Castonguay, d’un naturel d’intériorité qui habituellement la sert, sur-joue comme c’est le cas pour l’ensemble. Paul Savoie a peu à se mettre sous la dent, souvent en rupture de ton, et Éric Robidoux, portant une sorte de couche pour incontinent, arrive trop tard pour sauver la mise. Par contre, Jules Ronfard, fils d’Alice et petit-fils de Jean-Pierre, est la grande révélation du lot. Son jeu est précis, sa voix bien accordée, avec une présence en scène confirmant la transmission du talent familial.

Enfin, la musique de Nicolas Basque et le décor inventif de Jean Hazel rehaussent tout juste bien cette production qui n’atteint sûrement pas ses prétentions du départ. Même secondé par Andréane Roy sur le plan dramaturgique, la traduction de Christian Lapointe, avec des répliques comme « Chus brave à quoi ça fucking sert? », verse dans le loufoque plutôt que de nous plonger au cœur même du tragique de la condition humaine.

La pièce de Crimp, version Christian Lapointe, faisant une heure et 40 minutes sans entracte, paraît ainsi délestée du pouvoir inépuisable de la mythologie transposée au théâtre aujourd’hui en restant tout aussi inspirante et chargée de sens. La fin de leur pièce à Espace Go sera abrupte, et c’est bien tant mieux.

 

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