Le Lac des cygnes s’enflamme pour Marie Chouinard
Ces jours-ci, Danse Danse affiche un programme en trois temps invitant la compagnie d’Éric Gauthier, Gauthier Dance, à présenter son spectacle autour du Lac des cygnes. On peut ici d’emblée oublier l’élégant ballet de Tchaïkovski, car on se retrouve plongé dans un propos hautement politique dénonçant le viol dans la version revisitée de l’oeuvre par la chorégraphe Marie Chouinard. Cet électrochoc précède la création du chorégraphe et musicien Hofesh Shechter intitulée Swan cake, pendant laquelle un groupe de bohémiens nous invitent à une fête. Puis, la troisième partie, toujours dansée par la même troupe, montre l’interprétation de Ohad Naharin de l’œuvre Minus 16.
Le chant du cygne : Le lac de Marie Chouinard
C’est devant un écran de flammes que se lève le rideau pour dévoiler les danseuses se mouvant et rampant avec la souplesse du cou de cet oiseau divin qu’est le cygne. On reconnaît à la gestuelle des danseuses tantôt le mouvement des palmes, tantôt le bec effilé, la tête ou le plumage. Cependant, on sait qu’on a affaire à une version punk dudit oiseau, comme il s’agit d’un lac de feu, que le plumage de tête est hirsute et que les cygnes dansent avec un pied nu et l’autre sur pointe. Les cygnes semblent obstinéss dans leurs gestes et la grâce les quitte peu à peu.
Malgré leur tutus ostentatoires (disons-le), qu’on devine à la fin de la chorégraphie fort semblables au plumage de l’arrière-train d’un cygne, les danseuses dévisagent le public à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’elles prennent la parole. En espagnol, elles dénoncent le patriarcat, les féminicides et le viol dans une tirade et en pointant la foule d’un doigt accusateur. Après cet épisode, les cygnes s’enlacent et c’est le moment de la réconciliation, après la dénonciation. Le lac devient eau, les flammes s’éteignent. Les cygnes replongent tête première. Dans la mythologie du Lac des cygnes, le cygne se transforme en femme alors que le prince tente de l’assassiner sur le lac. Il fallait bien Marie Chouinard pour faire le lien entre les féminicides et le fameux ballet de Tchaïkovski. Il m’a semblé que c’était une brillante interprétation de l’œuvre par la chorégraphe.
Swan cake de Hofesh Shechter
La deuxième partie commençait par une fête de bohémiens. Sur une trame sonore envoûtante, les danseurs se sont mis à taper des mains et à encourager le public à faire de même. La musique percussive dans une forme de crescendo sonore se mariait très bien à la gestuelle des danseurs. C’est dans cette pièce qu’il m’a semblé voir le plus de précision de la part de ceux-ci. Chaque élément sonore était accompagné de gestes distincts de certains membres de la troupe.
Le thème du Lac des cygnes apparaissait bien plus lointain et subtil, disons, que pour la première œuvre. Malgré tout, on a pu reconnaître quelques inspirations dans certains mouvements des mains. Disons que je ne donnerais pas 10 sur 10 pour le respect du thème. L’oiseau a bien fini par battre des ailes et la souplesse, l’expressivité, la qualité des gestes des danseurs et l’aspect ludique de la chorégraphie ont certainement su plaire, vu l’ovation debout à la fin de cette partie.
Minus 16 de Ohad Naharin
Après l’entracte, les danseurs sont apparus les uns après les autres alors que les lumières de la salle n’étaient toujours pas éteintes, comme pour nous mettre dans une ambiance un peu circassienne. En effet, l’un des danseurs avait fait office de « clown » pendant l’entracte (je me serais vraiment passée du moment où il a entrepris pour la 8e fois de faire le grand écart devant nous, mais passons).
Le premier numéro, sur un air de cha-cha-cha et fait de gestes très répétitifs et saccadés, servait de mise en bouche. Le deuxième tableau, des plus intéressant grâce aux accessoires (chaises et chapeaux), réunissait 16 danseurs de la compagnie et rendait bien la valeur d’un travail acharné. Les danseurs y étaient parfaitement synchronisés. Un très touchant pas de deux sur un air d’opéra a su émouvoir le public, qui s’est instinctivement mis à applaudir, touché par cette danse d’amoureux. Il serait dommage de ne pas souligner la chute du quatrième mur à la toute fin du spectacle et l’invitation de « partenaires de danse » parmi le public. Cela a bien terminé la soirée, puisque les danseurs ont tout fait pour mettre en valeur leurs invités d’un soir.
Un curieux triptyque que ce programme autour du Lac des cygnes, mais dans tous les cas, l’étonnement était au rendez-vous.
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