Le Chemin des Passes Dangereuses

Le Chemin des Passes-Dangereuses de Michel Marc Bouchard chez Duceppe | Œuvre majeure

Exactement 20 ans après sa création chez DUCEPPE dans la mise en scène de Serge Denoncourt, Le Chemin des Passes-Dangereuses, l’une des pièces de Michel Marc Bouchard les plus jouées dans le monde, revient au bercail avec une nouvelle distribution dirigée en toute complicité artistique par Martine Beaulne. Un succès assuré.

La pièce, traduite en cinq langues, a depuis 1998 fait l’objet de 60 productions dans 15 pays. Le dramaturge, qui a écrit plus de 25 pièces, a toujours dit qu’elle faisait partie de ses préférées. Écrite en un peu plus de deux mois seulement, aux lendemains du référendum perdu de 1995, sa thématique est vite passée de l’intime à l’universel. Car partout, un homme reste un homme peinant à communiquer ses émotions, même dans le contexte d’une fratrie à trois.

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Crédit photo: Caroline Laberge

On y retrouve donc trois frères suspendus entre ciel et terre, c’est-à-dire entre la vie et la mort, ne s’étant pas revus depuis la disparition de leur mère trois ans auparavant. Ils deviendront les otages les uns des autres suite à un accident de camion avec six tonneaux sur une route forestière isolée au Lac Saint-Jean, berceau de l’auteur, en direction du camp de pêche de leur père disparu 15 ans plus tôt dans des circonstances restées troubles sur ce même chemin avec une courbe appelé Passes-Dangereuses.

Le plus jeune des frères, Carl, joué ici avec autant de finesse que de fermeté par Félix-Antoine Duval, avait consenti à cette escapade routière quelques heures seulement avant son mariage. Une invraisemblance dans cette histoire qui dépasse le réalisme au profit du métaphorique. Carl ne s’inquiète que d’une chose, soit de sa fiancée faisant le pied de grue devant l’église où devait avoir lieu leur mariage. Mais étrangement et sans le comprendre, les trois frères n’ont pas la même heure à leur montre.

Félix-Antoine Duval. Crédit photo: Caroline Laberge

Félix-Antoine Duval. Crédit photo: Caroline Laberge

Dans toute la première partie de la pièce, on assiste à un huis clos aux relents de thriller orageux entre Carl et Ambroise, un très beau personnage que défend avec fermeté et une belle maturité d’acteur Maxime Denommée. Le comédien s’était déjà frotté à du Bouchard en 2013 avec Les Muses orphelines, sous la direction encore de Martine Beaulne. Son rôle de frère opiniâtre est celui d’un galeriste de Montréal à l’époque où l’on disait avec honte le mot homosexuel au lieu de gai comme maintenant, et dont le chum est atteint du sida, au lieu d’être séropositif comme on dit aujourd’hui.

Victor, le troisième frère, est tout le contraire des deux autres. Sous les traits d’Alexandre Goyette, dont personne n’a oublié sa performance remarquable dans King Dave, Victor est un coureur de jupons qui a un lourd penchant pour sa caisse de bières dans sa vie de petit provincial de Québec, aux yeux d’Ambroise. Cet accident sera l’occasion pour les trois de se parler dans le casque, avec franchise au lieu de faux-fuyants, et de laisser libre cours à leurs émotions de gars normalement refoulées.

Éminemment poétique, le texte de Michel Marc Bouchard ne contient pas un mot de trop. D’une redoutable précision et autant de concision, il ne ménage pas les vérités profondes de chacun, tournant allègrement le couteau dans la plaie. « On se parle, c’est le fun! », dira Victor qui se verra répondre : « Qui t’a appris la tendresse? ».

Alors que Les Muses orphelines s’inspirait de l’absence de la figure maternelle, ici, c’est du père que le manque se fait largement sentir. Un père poète qui mettait ses fils à la gêne lorsqu’il déclamait de façon ostentatoire ses poèmes à tout venant. Une strophe en particulier, « De tous les biens que je possède… », revient de manière obsessive dans le cœur du texte livré en chorale, et ainsi rythmé par l’habile direction d’acteurs de Martine Beaulne qui donnera sa juste part à chacun.

Le Chemin des Passes-Dangereuses est une œuvre polyphonique majeure, construite et livrée comme un opéra dont on entendrait la musique fantôme dans le sous-texte tout au long.

Poursuivant sur sa lancée, après l’Australie aussi bien que Cuba et le Pérou, la pièce fera bientôt l’objet d’une nouvelle production en Italie et d’une première au Brésil, ce qui fait de Michel Marc Bouchard, dont le nom figure dans le dictionnaire Larousse, le dramaturge québécois le plus joué dans le monde.

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