La traversée du siècle au Théâtre du Rideau Vert | Le Québec du 20e siècle raconté par les personnages de Michel Tremblay
La pièce de théâtre La traversée du siècle est un projet d’envergure. Elle commence à 10h et prend fin vers 22h. Des représentations sont faites dans plusieurs théâtres montréalais. Pendant les 12 heures de spectacle, le public suit les histoires de trois femmes de trois générations issues des romans et des pièces de Michel Tremblay. Le public se retrouve au 20e siècle et traverse cette époque à travers les yeux de Victoire, Albertine, Thérèse et leurs proches. La pièce est captivante et aborde de nombreux sujets encore actuels tels que l’homosexualité, les classes sociales, l’identité de genre et la place des femmes dans la société.
Bien que ce soit la metteuse en scène Alice Ronfard qui soit à l’origine du projet, les personnages, les dialogues et les événements proviennent tous de l’esprit et des livres de l’écrivain québécois Michel Tremblay.
Alice Ronfard a changé l’ordre et les dates de certains événements pour en faire cette réécriture. En entrevue avec Sors-tu?, elle explique : « Je n’ai que tricoté. […] C’est prendre des morceaux qui étaient, par exemple, en 2002, et de les mettre en 1900. C’était de réécrire une histoire un peu éparse dans un, deux ou trois livres ».
Certains des passages que le public entend peuvent être retrouvés dans l’ouvrage La diaspora des Desrosiers. Dans ces récits, on suit l’alter ego de Michel Tremblay et une version fictive de sa famille maternelle. D’autres passages ont également été pris dans les Chroniques du Plateau-Mont-Royal, roman davantage concentré sur la version romantisée de la famille paternelle de l’écrivain. Les spectateurs voient ces personnages évoluer devant eux tout au long de la pièce : Victoire, Josaphat-le-Violon, Gabriel, Édouard, Albertine, Thérèse, Marcel, Nana et Louise.
Pièce de théâtre ou lecture de livre?
Sur scène, le décor est sobre : quatre grandes tables en bois clair et des chaises basiques, rien de plus. Au cours de la pièce, ces meubles seront déplacés pour mieux correspondre aux différentes scènes, mais aucun autre élément de décor ne sera utilisé pendant les 12 heures de spectacle. Cette mise en scène épurée permet de mieux se concentrer sur les textes. Alice Ronfard avoue que c’était l’effet escompté : « Je voulais surtout qu’on entende le texte ».
Tous les acteurs sont présents sur la scène, même lorsque leurs personnages ne font partie d’aucun dialogue. Ils écoutent les autres, présentent un tableau silencieux en fond de salle, illustrant les narrations ou les propos des autres acteurs.
Photo par Marlène Gélineau Payette.
Les interprètes ont leur texte en main, leurs passages surlignés en fluo. Pourtant, le public n’a pas l’impression d’assister à une lecture. Même si les artistes ne connaissent pas toutes leurs lignes par cœur, ils vivent les émotions qui vont avec et les transmettent avec brio au public. Lors des tirades plus émouvantes, certains acteurs déposent leur texte par terre, récitant de mémoire.
Cela donne un aspect peu conventionnel à la pièce, mais n’enlève rien à l’émotion ressentie par le public ni au talent des acteurs. Les personnages ne sont d’ailleurs jamais joués par les mêmes acteurs. L’interprète de Victoire dans la première partie ne sera pas la même après l’entracte, et ce pour tous les personnages, tout au long de la journée.
La metteuse en scène Alice Ronfard explique cette décision : « Je trouve que ça donne des facettes différentes aux personnages. Chaque interprète a une façon de raconter les personnages qui est complètement différente des autres. Je trouve que ça donne au public une sorte de distance ».
La créatrice du projet ne voulait également pas avoir à faire du typecasting, c’est-à-dire choisir les membres de sa distribution pour un seul type de rôle. « Il aurait fallu que Victoire vieillisse. Pour moi, ça rentrait dans quelque chose qui était vieux au théâtre, ça ne m’intéressait pas parce que je trouvais ça conventionnel ».
Dans cette pièce, on retrouve une volonté de faire une expérience nouvelle, de ne pas proposer quelque chose de conventionnel, et le pari est largement réussi. Pourtant, certaines références au théâtre antique sont présentes dans le spectacle. Quatre personnages féminins représentent des sortes d’oracles. Parfois, les acteurs parlent d’une seule voix, comme un chœur antique.
La mise en scène est très intéressante et permet au public d’utiliser son imagination pour enrichir le décor ou visualiser la morphologie, l’ethnicité et les détails physiques des personnages. Comme lors d’une lecture de livre, ce qu’on a en face de nous est un support pour l’imagination.
Photo par Marlène Gélineau Payette.
L’importance de l’imagination
Au-delà du fait que le public doive faire preuve d’imagination pour visualiser les différents personnages et surtout les lieux dans lesquels ils évoluent, de nombreuses phrases de la pièce montrent l’importance de l’imagination.
Que ce soit le fait d’avoir des amis imaginaires pour se rassurer, de lire des livres pour s’évader ou de s’inventer des personnages pour mieux s’exprimer, la créativité, la culture et l’imaginaire sont mis de l’avant. La pièce démontre l’importance de ces choses au quotidien, celles qui rendent la vie des personnages plus supportable.
À une époque où le monde de la culture subit des coupures financières et se bat pour survivre, ces petites références sont importantes et font du bien à entendre.
Une équipe talentueuse
Le travail fait par Alice Ronfard pour que la pièce existe et puisse avoir des représentations dans de nombreux théâtres est impressionnant. Mais elle n’est pas seule à travailler pour que le spectacle soit un succès.
Une vingtaine d’acteurs sont présents en tout temps sur scène. Ils sont en pause seulement lors des entractes, après s’être changés et préparés pour l’acte suivant. Être sur scène pendant 12 heures n’est pas un exercice simple ni habituel.
Le public remarque ce tour de force et applaudit les interprètes de plus en plus fort chaque fois que ces derniers montent ou descendent de scène.
Toutes les performances sont marquantes, touchantes, étonnantes et bouleversantes à leur façon. La prestation la plus impressionnante est peut-être celle de Gabriel Favreau, surtout quand il interprète Michel.
Les actrices et les acteurs sur scène parviennent à faire éclater de rire les spectateurs à de nombreuses reprises, mais également à les émouvoir et à leur transmettre une grande gamme d’émotions.
Photo par Marlène Gélineau Payette.
Alice Ronfard explique qu’elle connaissait déjà toutes les personnes qui font partie du projet. Soit elle avait déjà travaillé avec les interprètes, soit elle leur avait enseigné l’interprétation. Ce qui est évident, c’est que tous s’apprécient et se respectent, et cela infuse une bonne énergie à la pièce. La metteuse en scène ne doute pas de leur talent : « Ce sont tous des amis, des gens avec qui j’ai déjà travaillé, que j’adore, avec qui je me sens bien, qui ont beaucoup d’initiative et qui sont très créatifs. Ce sont des artistes, ils sont plus que des acteurs ».
Un voyage à travers l’histoire québécoise
L’histoire prend place au début du 20e siècle, et comme le titre l’annonce, elle traverse tout le siècle au cours du spectacle. Le public assiste donc, en plus du quotidien des personnages, aux grands événements historiques qui ont marqué le Québec : les guerres mondiales et les crises financières, mais aussi le cinéma et l’arrivée de la télévision.
Certains sujets bien plus tabous, surtout à l’époque dans laquelle évoluent les personnages, s’invitent aussi sur scène : l’inceste, la pédophilie, la dépression ou les idées noires, le sexisme, l’homosexualité, l’identité de genre, les drag queens.
Certains des événements ou sujets abordés peuvent être difficiles à digérer, mais les touches d’humour se trouvant dans le texte permettent de ne pas rendre l’ambiance trop lourde. Certains membres plus âgés du public se souviennent de leur enfance lors de certaines périodes de la pièce. Que ce soit dans la salle ou dehors pendant les entractes, ils sont nombreux à comparer les événements de la pièce à leur propre vécu.
Une spectatrice explique à la sortie de la pièce : « Ces personnages, c’est nous, c’est notre histoire ». Une idée que plusieurs membres du public semblent partager, même si raconter l’histoire québécoise n’était pas le but premier de La traversée du siècle. La metteuse en scène raconte : « Au départ, [mettre de l’avant le passé québécois] n’était pas le but, mais c’est ce que les gens ressentent. Les réactions que j’ai, c’est que c’est notre histoire, nos personnages… Pour les acteurs, et je crois pour le public aussi, Tremblay est vraiment dans l’ADN. C’est assez magnifique ».
Toutes les représentations sont légèrement différentes les unes des autres. Les acteurs ne jouent pas les mêmes rôles à chaque représentation, ils ont beaucoup de liberté. « Dans une aventure comme celle-ci, je dois être flexible et à l’écoute de ce qui leur fait plaisir. C’est pas tyrannique comme travail, c’est très ludique en fait », affirme Alice Ronfard.
La prochaine représentation de cette pièce unique aura lieu au théâtre Duceppe le 15 juin prochain. Elle affiche complet. Une version papier du texte et un livre audio sont également disponibles.
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- La traversée du siècle
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- Montréal
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- Performance, Québécois,
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