«La meute» par Catherine-Anne Toupin à La Licorne | Un buzz qui continue
« Voilà une écriture comme on les aime: forte, précise, profonde et qui a du souffle », répète fièrement Philippe Lambert, directeur artistique du Théâtre La Licorne. « La meute », pièce de Catherine-Anne Toupin, en est à sa troisième série de reprises au petit théâtre de la rue Papineau, où elle a été créée en janvier 2018. Une pièce dont le succès populaire ne se dément pas, et continue même, si bien que « La meute » se retrouvera à l’automne 2020 sur la grande scène du Théâtre Jean-Duceppe de la Place des Arts.
On le voit, il y a une sorte de buzz autour de La meute qui se compare à celui du J’aime Hydro de Christine Beaulieu. Un phénomène d’appel à tous et de tous pour un, déclenché par son auteure, la comédienne Catherine-Anne Toupin, qui écrit dans le programme: « Avec La meute, j’ai eu envie de vous faire pénétrer dans un univers qui oscille constamment entre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. De vous amener dans des zones grises d’où personne ne sort indemne », parlant ensuite du « cercle vicieux de la violence qui ne fait que des victimes sur son passage ».
Et l’auteure ne s’est vraiment pas ménagée par le degré de difficulté, en écrivant pour elle-même le rôle de Sophie, début quarantaine, qui est en fuite pour d’obscures raisons. Poussée au plus loin possible, elle aboutira à l’aveugle dans un gîte perdu où, apeurée et désorientée, elle fera la connaissance de l’énigmatique Martin, interprété brillamment par Guillaume Cyr, et de la tante de celui-ci, propriétaire des lieux, que défend la comédienne Lise Roy, dégageant comme toujours une force groundée dans ses trop rares interprétations au théâtre.
«La meute», photo par Suzane O’Neill
La violence dont il est question ici est celle de l’amour et de l’argent, du défi de vivre, de la porno en ligne et du pouvoir des réseaux sociaux qui va jusqu’à détruire des vies, par pure méchanceté et plaisir malsain. Faut-il répondre à la violence par la violence? Sous ses dehors de thriller psychologique, la pièce tient le spectateur sur le qui-vive du début à la fin. La construction du texte, très habilement menée, ne s’arrête pas là. Il y aura entre ce trio de personnages qui resserre l’intrigue une certaine propension à nous confondre.
Tout baigne pour Catherine-Anne Toupin depuis que sa pièce À présent, créée par La Manufacture en 2008, ait été traduite en Right Now. Elle a fait l’objet d’une lecture publique à Édimbourg dans le cadre de l’Événement Québec-Écosse, un échange de dramaturgie forte entre La Manufacture et le Traverse Theatre. Si bien qu’au printemps 2016, la pièce a été créée en bonne et due forme artistique au Royaume-Uni, suivie d’une tournée de 12 semaines. C’est d’ailleurs pendant son séjour au pays de Shakespeare que Catherine-Anne Toupin a pondu le texte de La meute.
Avant, il y avait eu L’envie, créée en 2005 avec la compagnie du Théâtre Ni plus ni moins, qu’elle a codirigée de 2000 à 2011 avec les talentueux François Létourneau et Frédéric Blanchette. Elle est également l’auteure de plusieurs courtes pièces, et de scénarios pour la télévision, où elle a été découverte par un plus large public grâce à ses rôles dans Unité 9 et Boomerang. Ferme ou délicat, mais toujours authentique, son style de jeu naturaliste aura fini par être payant, tant sur le plan humain qu’artistique.
«La meute», photo par Suzane O’Neill
Guillaume Cyr, pour sa part, est un habitué de La Licorne depuis 2012 avec Billy (Les jours de hurlement) de Fabien Cloutier, un auteur remarqué qu’il retrouvera ensuite dans Pour réussir un poulet. Avec sa carrure de géant aux mains douces, de bœuf qui ne connaît pas sa force, c’est lui qui a joué le rôle si difficile à rendre de Lenny dans la production récente de la pièce la plus connue de John Steinbeck, Des souris et des hommes. C’est lui aussi qui incarnait le colosse Horace Barré dans le film à succès Louis Cyr: L’homme le plus fort du monde, pour lequel il a reçu le prix d’interprétation lors de ce qui s’appelait encore le Gala des Jutra. Son rôle ambigu et sans complexe dans La meute demande un tel degré d’abnégation, de courage et de ton juste et nuancé que sa performance là aussi mérite un prix.
L’alcool coule à flots dans la pièce, comme un révélateur à fortes doses du passé mystérieux de chacun des deux personnages principaux. La partition scénique demande autant de rigueur que de subtilité, et le metteur en scène Marc Beaupré a su admirablement tirer toutes les ficelles de cette matière à suspense, qu’il aborde comme une tragédie. Lui-même excellent comédien, comme il en a fait la démonstration dans une trentaine de pièces, ainsi qu’à la télé et au cinéma, Marc Beaupré porte en lui, et ça paraît, la lecture à rebrousse-poil des grands classiques qui sont devenus sous sa vision artistique Dom Juan_Uncensored, Hamlet_Director’s Cut ou encore Caligula (Remix) et L’Iliade.
Marc Beaupré sera de la distribution du thriller Jusqu’au déclin, le tout premier long métrage québécois produit par Netflix. De quoi donner des idées à Catherine-Anne Toupin pour continuer d’agrandir toujours plus sa meute.
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