La flûte enchantée à Montréal | Quand l’opéra rencontre le cinéma
Après exactement deux ans de reports incessants, l’Opéra de Montréal présente , à la salle Wilfrid-Pelletier, enfin sa Flûte enchantée de Wolfgang Amadeus Mozart dans une production allemande déjà exportée un peu partout dans le monde, et avec raison. Loin des plateaux traditionnels, la scénographie de Barrie Kosky et du collectif 1927 (Suzanne Andrade et Paul Barrit) nous transporte tout droit dans les belles années du cinéma impressionniste allemand et des films muets.
En effet, après avoir vu le cinéaste suédois Ingmar Bergman réaliser avec brio La Flûte enchantée dans l’un des très rares films d’opéra potables en 1975, voici que le dispositif est inversé et c’est l’opéra en soi qui accueille le cinéma sur scène via un écran géant qui prend toute la scène et d’astucieuses projections qui permettent d’insuffler du mouvement bien plus que n’importe quelle autre scénographie traditionnelle.
Est-ce réussi? En partie. La mise en scène est particulièrement imaginative, mais comporte toutefois quelques failles lorsque l’on se détache de l’émerveillement et des premières impressions pour se pencher vers la raison et l’analyse. N’est-ce pas d’ailleurs l’un des principaux préceptes de l’opéra moralisateur de Mozart?
En voulant se lancer dans un hommage au cinéma muet, les concepteurs ont pris la décision audacieuse de se débarrasser des récitatifs parlés de l’œuvre originale, insérant plutôt des séquences de textes sur l’écran de projection comme dans tout bon film des années 20. Le procédé est accompagné de séquences musicales de la Fantaisie en ré mineur K. 397 de Mozart, pièce totalement sans lien avec la Flûte, jouée au piano forte.
La décision n’aurait probablement pas plu au compositeur, qui, déjà, ne jouait qu’au clavecin dans ces opéras même après être tombé dans un amour profond des capacités sonores du piano, mais aussi parce que l’on dénature ici entièrement l’idée du Singspiel qui caractérise son opéra.
Spingspiel, terme que l’on traduirait en français par jeu chanté, ou théâtre chanté, se retrouve dénudé d’une bonne partie de son aspect théâtral justement. Rendu là, pourquoi ne pas avoir assumer jusqu’au bout en utilisant une trame sonore plus ragtime, en accord avec la direction artistique plutôt qu’une pièce un peu déprimante du compositeur?
Le procédé permet quand même de donner un meilleur rythme à l’ensemble en atténuant certaines conversations parfois particulièrement longues de ce que Mozart propose à la base, mais vient aussi enlever certains moments les plus savoureux. Pensons à l’échange entre Papageno et Papagena au deuxième acte, qui, lorsque retiré, enlève presque toute utilité au second personnage, que l’on ne voit plus que brièvement sur scène.
La beauté plastique des projections parvient toutefois à sauver la mise par son humour et son inventivité, même si l’on peut se questionner à savoir pourquoi ladite flûte est ici une fée nudiste.
Et qu’en est-il du jeu des comédiens? Le niveau est bon, sans être totalement impressionnant non plus. Soulignons la performance particulièrement solide de Brian Wallin en Tamino, comédien arrivé pour un remplacement à la dernière minute de surcroît, de même que celle quasi parfaite des trois dames, interprétées par trois Canadiennes, contrairement au reste de la production allemande imposée pour ses personnages principaux à l’Opéra de Montréal.
Kim-Lillian Strebel s’en sort généralement bien en Pamina, ne démontrant une réelle faiblesse que durant l’aria Ach, ich fühl’s durant le second acte. Finalement, pour répondre à la question que tout le monde se pose, l’interprétation de Der Hölle Rache par Anna Siminska se passe sans grandes anicroches, même si la chanteuse est peut-être un peu trop portée vers les aigus.
Le bât blesse cependant du côté de Monostatos, autant dans le traitement du personnage que dans son interprétation, difficile à juger tellement John Robert Lindsey manque de projection, se faisant systématiquement enterrer par l’orchestre. Rôle controversé, Monostatos est un personnage Maure, donc noir, caractérisé par son tempérament perfide de menteur incapable de retenir son obsession malsaine de Pamina qui le pousse presque au viol.
Souvent représenté en black face par le passé, le rôle a plutôt été ici remplacé par un déguisement de Nosferatu, excellente idée totalement en accord avec l’esthétique de la direction artistique, mais qui perd de son intérêt lorsque les paroles gardent encore des mentions de l’aspect racial inhérent à Monostatos.
Sans vouloir se lancer dans le questionnement à savoir si l’on devrait adapter les œuvres classiques pour les débarrasser de leurs caractères nocifs, surtout dans le cas d’un opéra aussi misogyne que La Flûte enchantée, force est de dire que ce procédé reste un peu hypocrite dans son traitement.
Au final, la production reste toutefois une belle proposition de l’Opéra de Montréal. Le chef d’orchestre américain Christopher Allen offre aussi une belle direction vive et relevée qui ajoute de la joie à l’ensemble. Si l’opéra n’arrive pas toujours à passer le test de l’analyse, il fait toutefois réellement rire et sourire comme le voulait Mozart à la base. Pour un public qui ne connaît pas ou ne s’intéresse pas nécessairement à l’opéra, c’est une excellente introduction au genre.
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Salle Wilfrid-Pelletier
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