crédit photo: Danny Taillon

Janette chez Duceppe | Un exercice d’histoire incontournable

Synchronisé avec le centenaire de Janette Bertrand, le projet Janette expose la vie entière de cette femme qui a marqué le Québec par son audace et son avant-gardisme.  Janette, c’est bien sûr la vie de Mme Bertrand, mais c’est aussi celle de toutes les femmes du dernier siècle avec leur traumas, celle de tous les hommes et leur vulnérabilité enfouie, l’histoire de toute notre société à travers le regard de celle qui a osé.  Transcendé par la poésie de Rébecca Deraspe, le spectacle, auquel j’ai assisté hier, le 15 avril 2025, balaie les moments marquants des cent dernières années, à la manière des talk-shows et des fictions qui ont forgé la carrière de cette femme monument.

Une vingtaine de convives sont installés à des tables de part et d’autre de la scène, qui est non sans rappeler un décor de télévision des années 80, avec un tapis mauve et des angles en losanges étirés. Ces VIP assisteront à la représentation tout en dégustant un repas quatre services, servi par les comédiens eux-même tout au long de la pièce. Basé sur son fameux livre de recette, le menu de Janette est composé à la fois dans les assiettes et dans la dramaturgie, car chaque grand chapitre est associé à un plat : entrée froide, la relation avec sa mère; entrée chaude, fonder une famille;  plat principal, sa carrière publique; et finalement au dessert, son beau Donald. Sa vie se déploie ainsi en ordre chronologique, entrecoupée de discussions détendues et commentée avec notre regard d’aujourd’hui, comme elle l’a tant fait avec ses émissions. Quelques moments musicaux accompagnent les scènes, avec la présence d’un directeur musical sur scène, et la participation un peu maladroite des comédien.nes. Qu’à cela ne tienne, il ne s’agit pas d’un musical, et ces intermèdes dynamisent le ryhtme du show.

Il faut parler de Guylaine Tremblay. Pourquoi Guylaine Tremblay est tant adulée et honorée et encensée et elle est donc ben partout? Parce que c’est une actrice exceptionnelle! Polyvalente, branchée sur sa vérité et tout à fait renversante, elle a livrée une performance plus que parfaite, avec une perruque qui scellait sa fusion avec le personnage plus grand que nature de Janette Bertrand. À certains moments, on croyait que c’était elle, de retour à la barre de « Parler pour parler ». Janette elle-même, qui a assisté à la représentation, avouait qu’elle était bouche bée, qu’à l’habitude, il fallait mourir pour qu’on écrive votre vie. Les deux Janette étaient bien vivantes, l’une portée par les mots de Déraspe, et l’autre en reconnaissance et éblouissement au premier rang.

Toute la distribution de ce spectacle joviale égaye les personnages qui ont jalonné le parcours de Janette Bertrand. On apprécie particulièrement les apartés fictifs où tout le monde jouent n’importe qui : Cynthia Wu-Maheux en mère de Janette mais aussi en Pierre Péladeau, Sébastien Rajotte en Jean Lajeunesse, puis en politicien ou en arbitre de la LNI, François-Simon Poirier en curé qui roule ses r puis en Donald transis par la magnétisme de Janette. Normand Chouinard, en Macaire le chien de Quelle Famille! mais surtout en lui-même avec des anecdotes personnels très touchantes, car il a collaboré souvent avec Janette par le passé. Phara Thibault et Zoé Lajeunesse-Guy complétait la parade avec leur fraîcheur et leur jeunesse, en interprétant tantôt des adolescentes ignorantes ou des amies de Janette. Près de la fin, on nous confirme que Zoé est la vraie petite fille de Janette, fille d’Isabelle Lajeunesse et de François Guy (malheureusement décédé en 2023). Le spectacle se clôture sur un monologue de Guylaine, s’adressant à une jeune adolescente d’aujourd’hui dans l’intention, mais interpellant touts les spectateurs de tous âges en les happant directement au coeur. Elle invite la petite à foncer, à garder sa colère ardente pour avancer et ne jamais cesser d’apprendre, comme elle l’a fait. On entendait seulement quelques reniflements dans le silence humble de la salle, suivi d’une ovation sentie.

Il y a tellement à raconter quand on a vécu si longtemps, mais à l’intérieur des deux petites heures du spectacle, l’autrice Rébecca Déraspe a si bien cerné les enjeux et les noeuds de la vie de Janette qu’ils en deviennent universels.  Ma mère de 70 ans qui m’accompagnait a revécu plusieurs de ses souffrances à travers ce qui était raconté par les comédien.nes : le fait de naître femme, de n’avoir droit à rien, de n’être rien, de n’avoir aucune parole, aucune éducation, d’être confinée au rôle de mère ou servante ou les deux. De traverser des époques où perdre un enfant durant la grossesse ou à la naissance était une épreuve qu’une femme surmontait seule, sans explications, sans réconfort. Des époques où les hommes souffraient en silence, rebutait à la vulnérabilité et reprochaient tout aux femmes pour éviter d’assumer leurs émotions. Sans compter les sujets tabous aujourd’hui mieux compris, comme l’homosexualité, la parentalité, la violence conjugale, la santé mentale, la sexualité et j’en passe. Il y a eu des milliers de Janette au Québec et ce spectacle est absolument nécessaire pour la mémoire collective. Il devrait être obligatoire dans le cursus scolaire, surtout pour les plus jeunes qui ne savent pas qui est la très vieille madame.

La finale invite surtout à prendre la relève, à refuser la noirceur, à nommer tout haut ce qui se dit tout bas. Particulièrement en ces temps troubles qui nous affligent. Qui ont un petit air de déjà vu pour ceux qui les ont déjà vécu. Mais comme dirait Janette, chaque époque a ses périodes sombres pour ces moments de lumière. Merci d’illuminer notre mémoire encore et encore, invincible Janette.

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