Introduction à la violence

Introduction à la violence par Marie Brassard à l’Usine C | Un électron libre

« Au début, il n’y a rien. Ni forme ni couleur. Puis, dans le faisceau d’une lampe de poche qui perce la nuit, un livre d’images rapporté du Japon s’ouvre sur un paysage. Léone, deux ans et demi, montre du doigt un point clair à peine perceptible dans le ciel bleu du dessin. Regarde, dit-elle, on dirait une petite fleur japonaise qui n’est pas encore née. »

Marie Brassard, en électron libre de par le vaste univers, parle ainsi au début de son spectacle encore en gestation, Introduction à la violence. En seulement quatre soirs, elle vient jauger les réactions du public de l’Usine C attiré par des propositions artistiques hors normes. Il s’agit de la première étape d’un spectacle hybride en devenir, à propos duquel elle dira encore : « Dans un espace nébuleux, des voix se mélangent pour raconter les fragments d’une histoire rêvée par un assassin à une enfant qui ne veut pas dormir. »

Photo par Minelly Kamemura

Mélange d’art visuel, de conception sonore soutenue, de réalisme cinématographique et de théâtre expressionniste repoussant plus loin les contours de l’avant-garde, le spectacle regorge déjà de bonnes idées. On reconnaît tout de suite l’artiste unique que Marie Brassard a su rester, en émule de l’esthétique théâtrale intelligente de Robert Lepage qu’elle a fréquenté à Québec, pour ensuite fonder sa propre compagnie, Infrarouge, dont elle assume la direction artistique en s’associant avec des créateurs et des concepteurs allumés comme elle.

Marie Brassard, aussi intime qu’universelle

Son premier solo, Jimmy, créature de rêve, présenté en 2001 au Festival TransAmériques avec un éclatant succès, allait être le déclencheur de sa parole singulière transposée dans le monde onirique et ludique qu’elle crée sur scène avec une acuité sans cesse renouvelée. On n’a qu’à penser à Peepshow, ou Moi qui me parle à moi-même dans le futur, ou encore La fureur de ce que je pense, inspirée d’un collage sensible de textes de Nelly Arcan qu’elle a monté à Tokyo et présenté en tournée au Japon. En plus des capitales européennes, Marie Brassard a performé aussi bien à New York et Mexico qu’à Sydney et Melbourne en Australie.

Marie Brassard, photo
par Minelly Kamemura

L’auteure, metteure en scène, comédienne et même danseuse, s’est nourrie aussi à même l’esthétique new-yorkaise d’artistes pionnières comme Laurie Anderson et Meredith Monk. Cela se traduit, entre autres moyens futuristes, par une technique de traitement de la voix électroniquement qui lui donne une sonorité en apparence modulée à partir de spécimens extraterrestres. Sa gestuelle hiératique, ses mouvements déconstruits, ses habits sombres d’homme androgyne, son faciès asiatique, tout chez Marie Brassard est aussi intime qu’universel.

« Est-ce que je suis morte ou vivante? », cette simple réplique traduit bien le non-lieu où nous sommes, ne sachant plus à quelle couche de réalité adhérer. Il y a des tirades dans la pièce où l’on se sent directement atteint dans notre intégrité d’humanoïdes en devenir. « Ne pense à rien, rendors-toi », « J’ai du mal à respirer », « Je souris à des inconnus », voilà les bribes d’un texte presque arrivé à maturité.

Une scénographie dépouillée

La conception sonore et l’exécution live de la musique originale d’Alexander MacSween comptent énormément dans le climat ambiant qui façonne une forme parlée par des images souvent angoissantes, comme dans la vraie vie. De toute évidence, la musique est née et a été développée en même temps que la complexité du personnage central.

La justesse des lumières de Mikko Hynninen et la très belle scénographie dépouillée d’Antonin Sorel servent bien la pièce, lui ajoutant des dimensions parallèles d’un au-delà incertain. Presque toute la pièce, pour le moment du moins, est jouée à mi-hauteur de l’espace scénique, comme sur une palissade où la comédienne déambule en livrant un texte hachuré mais consistant. La flamboyance des images vidéo en interaction et les projections en direct conçues par Sabrina Ratté font le reste.

Photo par Minelly Kamemura

Sorte de « polar philosophique musical », avec ses aller-retours temporels qui forcent l’admiration, il faudra retoucher le texte ici et là, raccourcir les chansons, et développer du contenu pour justifier le déplacement de la comédienne dans un genre de réduit en contrebas de la passerelle qui autrement illustre un quai, entre mer et montagnes, entre beauté et sordide, entre vie et mort.

Cette introduction à la violence, déjà très réussie, n’est donc qu’un début dont on attendra impatiemment la suite, comme d’autres la moisson et les récoltes, mais transposées sur une scène de théâtre par la subtile finesse en contrepoint de cette artiste complète qu’est Marie Brassard.

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