crédit photo: La Tribu
Growlers Choir

Growlers Choir au Gesù | Unique et prometteuse expérience

La Growlers Choir a élu domicile le Gesù les 15, 16 et 17 février pour y présenter le spectacle Les voix de l’abîme. À tort qualifié de chorale métal par plusieurs, ce chœur de grogneurs peint des paysages musicaux singuliers à l’aide de techniques de chant guttural et se rapproche ainsi davantage de la musique expérimentale. Sors-tu? a eu l’occasion de rencontrer le directeur musical Pierre-Luc Senécal et la metteuse en scène Émilie Sigouin, tout juste avant d’assister à un spectacle unique en son genre.

En fin d’après-midi, assise à une table bistro dans le hall du Gesù, la metteuse en scène Émilie Sigouin dit que Les voix de l’abîme est un spectacle composé de vignettes sur le même thème, soit celui d’ « êtres qui arrivent sur terre, qui vivent une descente aux enfers et qui décident de quitter ». On est dans l’univers des sensations fortes, des films de genre, des films d’horreur. La prestation de Growlers Choir au dernier GAMIQ nous avait d’ailleurs donné l’impression d’être transportés dans l’univers du Seigneur des anneaux, à l’épicentre de la Terre du Millieu parmi les Orques.

Il y a des moments de joie, une joie primale qui s’exprime comme nos ancêtres, affirme Senécal.

Pierre-Luc Senécal fondateur et directeur musical de la Growlers Choir n’est pas d’accord. Il voit davantage sa démarche comme celle d’ « un marchand de beauté, un marchand de rêve, mais peut-être pas les rêves dans lesquels vous voulez être ». On est donc dans le gore, mais un gore qui peut faire sourire, qui peut nous rendre joyeux.

Retournons à la genèse du projet. Senécal nous raconte que le chœur est né il y a 5 ans « d’un besoin irrépressible, il y avait un besoin d’avoir ce groupe-là dans l’univers ». Il a donc regroupé 13 chanteurs et chanteuses métal qui savaient exploiter une variété de techniques de chant guttural afin de se doter des outils nécessaires pour créer des toiles sonores fantastiques et, toujours selon Senécal, « rassembler ces univers-là qui sont très narratifs et d’amener cela en musique ».

Le chœur est d’ailleurs l’un des points forts du spectacle. L’excellente maîtrise de leurs organes vocaux leur confère la possibilité d’évoquer une variété étonnante de sons : celui fort et caverneux du dungchen (cor tibétain), la douce brise et les fortes bourrasques, le sifflement mélodieux d’un oiseau et de son rebutant gloussement, le son mouillé d’un charognard qui dégluti et celui des os de sa proie qui se brisent.

* Photo par La Tribu.

Les chanteurs et chanteuses de la Growlers Choir sont loin du stéréotype du métalleux qui crie et se casse la voix. Ce sont de véritables musiciens professionnels maîtrisant un instrument que nous possédons tous, mais que nous n’exploitons pas. Ils sont d’ailleurs accompagnés dans cette démarche par Pascal Germain-Berardi, ancien Petit chanteur du Mont-Royal, choriste de l’OSM et aussi… chanteur de métal.

Émilie Sigouin, qui évolue également au théâtre et au cinéma, a débuté l’aventure avec la Growlers Choir lors de leur passage à la célèbre émission America’s Got Talent en 2022. Elle dit de sa mise en scène des textes et des paysages sonores de Senécal qu’elle « est un peu cauchemardesque, c’est très haut en contraste, beaucoup de back-light, de silhouettes, de mystères ». Effectivement, les choristes se déplacent peu sur scène, mais chaque déplacement est percutant. Parfois un choriste fait un bon en avant et se démarque de sa tribu pour mettre l’emphase sur une ligne de texte en la criant, d’autres fois la tribu se referme sur elle-même pour former un seul et unique organisme.

Vous êtes des êtres venus d’ailleurs, des êtres célestes et surpuissants, dit Sigouin.

Car sur scène, c’est ce qu’est cette chorale, une tribu faite de poussières d’univers descendue sur terre. Une tribu dont l’individualité est reléguée au second rang, à l’exception des moments où, alors que tous les visages sont dans l’ombre, certains s’illuminent momentanément par une petite lampe tenue à la main. Un effet visuel très efficace, développé par Sigouin en temps de pandémie pour des prestations vidéo.

La tribu est une force du spectacle, elle est également à certains égards son talon d’Achille. La composition musicale, loin d’être dépourvue d’intérêt et de sophistication, laisse trop peu d’espace à l’individualité des choristes, ce qui nuit à la diversité des ambiances sonores sur les 75 minutes que dure la prestation. Vu la quantité de textures sonores dont en sont capables les chanteurs et chanteuses, il aurait été intéressant d’explorer davantage le contraste et d’intégrer plus de musicalité. Surtout que lors du rappel, on a entendu un aperçu de tout le potentiel que représente un chœur de grogneurs, alors que celui-ci faisait un clin d’œil à son passage à America Got Talent en reprenant des extraits de Toxic de Britney Spears et de Carmina Burana de Carl Orff, à la manière Growlers Choir.

* Photo par La Tribu.

Ou, peut-être, la démarche devrait peut-être s’approcher davantage de celle de l’opéra. D’ailleurs, le programme de Les voix de l’abîme s’approche agréablement d’un livret. Les textes de Senécal, Laurent Bellemare et Fortner Anderson sont délicieusement lugubres et inspirants. En support aux textes portés essentiellement par des narrateurs et narratrices, l’approche « tribu » des compositions, celle qui sert plutôt à l’apparition de paysages musicaux homogènes en support au texte, apparait bien avisée. Des projections des textes chantés par les grogneurs auraient alors agrémenté l’expérience du texte car, rappelons-nous, les chants de gorges ne sont pas réputés pour leur élocution.

Un coup de cœur pour la fable The Dayking de Fortner Anderson, qui raconte l’éprouvante mission de celui qui a dû s’isoler de son village des décennies durant pour les protéger en assurant une vigie aux aguets d’un désastre imminent. Également une mention spéciale à Harry Standjorfski durant les vignettes The Dayking. Le texte d’Anderson, livré par ses lents et macabres murmures tels des souffles froids de la nuit, tissait une réelle toile d’angoisse.

Growlers Choir c’est vraiment unique, unique dans la démarche, unique dans le monde, dit Senécal.

On retient de cette soirée que Senécal, Sigouin et le reste de la bande ont créé quelque chose d’unique et ont ouvert plusieurs portes de possibilités. Celle qui donne vers un univers où la musique techno et le growl ne font qu’un est très attrayante, tout comme celle qui ouvre vers la création d’un nouveau genre, l’opéra macabre. À suivre, donc.

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