crédit photo: Sylvie-Ann Paré
gloires du matin :)-(:

Gloires du matin de Marie Chouinard | Après la macération, la passation

Le moment est unique. Une poignée de minutes avant 8h, ce matin, la danseuse Carol Prieur s’apprête à interpréter le solo gloires du matin, créé et performé 15 ans plus tôt par la chorégraphe Marie Chouinard à l’occasion de son grand retour sur scène.

En 2009, il y a 20 ans que Marie Chouinard n’est pas montée sur scène. « Vingt ans qu’il se prépare, ce solo, vingt ans qu’il me prépare », peut-on lire dans le pamphlet que les quelques dizaines de personnes présentes ce matin au studio de la Compagnie Marie Chouinard tiennent entre leurs mains.

Ce matin et pour les trois qui suivront, gloires du matin, en référence à la plante du même nom dont la floraison se renouvelle chaque matin de l’été, prend vie pour la première fois dans le corps d’une autre personne que sa chorégraphe. C’est Carol Prieur, partenaire créative de Marie Chouinard et danseuse pour la compagnie depuis bientôt 30 ans, qui hérite de cette lourde et magnifique tâche. Prévues pour 2020 puis annulées, les représentations sont enfin à l’horaire.

Marie Chouinard dans gloires du matin en 2009 (photo par Jean-François Gratton). Dans le coin en bas à droite, Carol Prieur.

Le solo est destiné à être dansé à 8h du matin dans des lieux qui n’ont rien à voir avec des salles de spectacle. Le grand studio de la compagnie, d’un blanc immaculé et habillé de longs rideaux translucides et de quelques blocs en bois clair déposés au sol, est de cette catégorie. Les fenêtres ouvertes sur les arbres de l’Avenue de l’Esplanade laissent entrer une douce brise en plus de la trame sonore d’une métropole déjà bien vivante. Le son des voitures s’ajoute à celui des oiseaux, du vent et des vagues qui sort des haut-parleurs du studio.

Pendant de longues minutes, Carol Prieur, vêtue d’une vaporeuse tunique dorée à ras le sol, apprivoise la pièce baignant dans le soleil qui l’accueillera pour les 50 prochaines minutes. Dès le premier mouvement, le premier regard, on sait qu’on assiste à une performance des plus incarnées, dont la ligne tendue de l’intention ne fléchira pas un seul instant.

Carol Prieur peut danser, bien sûr, elle le fait à merveille, mais elle n’en a pas nécessairement besoin pour captiver le public. Elle traverse la salle toute blanche et sa démarche est tellement précise qu’on dirait plutôt qu’elle flotte. Le contrôle moteur de la danseuse d’expérience est flagrant. Rien n’est laissé au hasard, de l’intensité de son regard jusqu’au bout de ses doigts et de ses orteils.

Photo par Sylvie-Ann Paré.

Voilà ce qui fait de son interprétation de gloires du matin un objet captivant et complet. La théâtralité. Le solo qui infuse toute l’entité que représente son corps. L’œuvre est exploratrice, souvent empreinte d’une certaine lenteur, et requiert une grande patience de la part du public et de l’interprète. Le corps de Carol Prieur se dédouble sans cesse, si bien qu’elle semble surprise de ses propres inflexions et soubresauts. Sa main droite, première à s’extirper du long costume et symbolisant une forme de corps étranger même une fois la tunique tombée, illustre cette déconnexion.

L’épopée que gloires du matin impose à Carol Prieur n’est pas tranquille : prise de bout en bout, elle pourrait être comparée à une sorte de catharsis, d’acte de libération, non sans souffrance. Il est difficile de saisir si, avec cet important et intime solo, Marie Chouinard a tenté de se conserver ou de se brusquer. Les deux options pourraient prendre du sens. La gestuelle dont la précision rejette une apparence 100% humaine dresse un mur entre Carol et le public, mais on lui voit un monde intérieur fertile, complexe et porté par un grand amour-propre.

Un nouveau personnage clôt la pièce, alors que la danseuse longiligne disparaît derrière les rideaux pour nous revenir masquée, seulement vêtue d’un sous-vêtement beige. L’intensité augmente d’un cran et le temps que la surprise liée au changement de ton s’apaise, l’interprète quitte pour de bon notre champ de vision, avant de recevoir une pluie d’applaudissements sincères.

Déléguer une pièce aussi intime représente sans aucun doute un défi, mais on dirait bien que Marie Chouinard n’aurait pas pu choisir meilleure muse. Pour une expérience de danse qui détonne par son moment et son lieu, des billets à prix très variés sont disponibles ici. gloires du matin retournera sous le soleil (ou la pluie) les 5, 6 et 7 juin, à 8h.

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