Glengarry Glen Ross à l’Usine C | Le machiste David Mamet joué par des femmes
La production de la compagnie Transthéâtre de la pièce Glengarry Glen Ross de l’Américain David Mamet est la troisième en quelques années sur nos scènes. Mais, celle présentée à l’Usine C actuellement a la particularité d’être transposée dans un monde de femmes. Elles ne feront pas mieux que les hommes, mais l’idée de cette substitution est intéressante en soi.
« L’appât du gain est asexué », disait dans les médias Brigitte Poupart qui a eu cette bonne idée de mise en scène de ne faire jouer les requins de l’immobilier que par des requines. Le résultat dans son ensemble est très concluant. Comme quoi la cupidité, la rivalité, l’ambition, la combativité, la course au profit et l’obligation de performer dans la vente, même illégalement, ne sont pas que l’apanage des hommes dans notre société sauvage où les femmes sont de plus en plus nombreuses à serrer le nœud et mettre un couteau sous la gorge, au service du même Dieu argent.
Dans cette nouvelle traduction d’Enrica Boucher, les courtières en immobilier se nomment Shelley, Jeanne, Ginette, Danièle et Roma. Leurs joutes verbales de concurrentes rapaces sont des plus féroces. La distribution des sept femmes se voit ajouter Jenny, la cliente victime, et Bayley, l’inspectrice de police chargée d’enquêter sur le vol des dossiers des prospects, comme les désignent ces vendeuses sous pression où tous les coups sont permis, passant par l’intimidation, le mensonge, la corruption, la fraude, les pots-de-vin et le vol de clients qui souvent vont de pair.
C’est Micheline Lanctôt qui joue Shelley, la doyenne des vendeuses. Elle est dans une mauvaise passe, tentant d’amadouer Jeanne, la jeune mais non moins ferme gérante de l’agence. Le manque d’empathie, la dureté du langage et l’inflexibilité qui la caractérisent sont bien défendus par une Marilyn Castonguay altière et intraitable. Micheline Lanctôt, qui en tout respect n’a pas l’âge de son personnage, est bien la seule de cette meute à manifester quelque bonté d’âme. Et la grande actrice qu’elle est, autant sur scène qu’au cinéma et à la télévision, arrive à nous embarquer dès le départ dans sa déroute cruelle du chacun pour soi en affaires.
De ces lionnes en cage toujours prêtes à bondir, il faut aussi souligner le travail remarquable d’Isabelle Miquelon, avec ce ton modulé entre séduction du client et agressivité à vendre, ainsi que celui de Louise Bombardier en angoissée, admirable dans son rôle de proie plutôt que de prédatrice. Cette comédienne de grand talent qui porte ses rôles avec sa voix unique la rendant si attachante, devrait apparaître plus souvent sur nos scènes de théâtre. Car on la sent capable de jouer sur tous les registres, ce qui est rare.
Le décor de Geneviève Lizotte n’est pas très élaboré : trois murs nus et sans fenêtres, une plante verte dans le coin gauche qui paraît être en plastique, et six chaises de bureau à roulettes, mais sans bureaux encombrants sous les six néons crument suspendus au-dessus de l’aire de jeu. Sur le mur en fond de scène trône un tableau où figurent les noms des meilleures vendeuses. Ou bien ton nom apparaît régulièrement dans le classement du tableau avec les gains correspondants, ou bien sans aucun sentiment, tu risques simplement de perdre ta job.
Qu’elles soient juchées sur des talons hauts ou en simples running shoes, ces vendeuses plus que machistes se lanceront par la tête des « Farme ta câlisse de gueule! » autant que des « Mangez toutes de la marde, toute la crisse de gang! ». Elles connaissent la game et la dureté du langage des affaires, un deal étant un deal où tout se négocie dans le seul but de faire la passe et de se retrouver sur le fameux tableau.
Né à Chicago en 1947, David Mamet a autorisé cette adaptation de sa pièce qui lui a valu le Prix Pulitzer en 1983. Ce que Brigitte Poupart décrit au féminin comme une longue descente dans les méandres de la décadence du pouvoir et de l’argent, lui aura sûrement plu.
- Artiste(s)
- Glengarry Glen Ross
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Usine C
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