FTA 2016 | The Black Piece : Fascination pour les ténèbres

Quand le spectacle commence, à l’Usine C, nous sommes plongés dans le noir intégral. De longues minutes s’écoulent. Puis, le son d’un petit rire pourfend les ténèbres, suivi plus tard du sifflement du vent, aussi par des pleurs. Des silhouettes se profilent dans ce noir qu’on sentait habité. Entre théâtre et danse, le Black Piece de Ann Van den Broek présenté au FTA est un objet scénique singulier, et jusqu’à ses dernières secondes, déconcertant. «Les ténèbres procurent beaucoup de liberté», nous prévenait déjà dans le programme la chorégraphe.

Photo : Maarten Vanden-Abeele

Photo : Maarten Vanden-Abeele

D’ailleurs, elle n’est pas seulement chorégraphe, mais également conceptrice du spectacle à part entière, créatrice des costumes, et co-scénographe. Le spectacle donc, lui appartient totalement. Les cinq comédiens-danseurs qu’elle fait évoluer selon sa fascination à elle pour les ténèbres, lui sont complètement redevables.

Il n’y a pas de décor à proprement parler, seulement une paire de chaussures de chaque côté de la scène, et au fond, une petite chaise sur roulettes. Les interprètes sont vêtus de noir. Comme par le jeu du chat et de la souris, il y en a toujours un qui pourchasse les autres, muni d’une sorte d’anneau lumineux qui visiblement les traumatise et les fait vouloir au plus vite retourner dans le noir. On dirait des zombies vampiriques que la lumière fait fuir.

Puis, très soudainement, à l’opposé du black out où nous sommes restés depuis les débuts, ce qu’on pourrait appeler un black in se produit comme une agression contre la personne. La salle et la scène sont alors révélées dans un éclairage cru, des plus crus même. Mais, ça ne dure pas. La noirceur revient, et ce qui est donné à voir continue de dépendre de la petite source lumineuse utilisée par l’un ou l’autre des interprètes envers les autres, comme l’œil sur Caïn.

Black-Piece-1-FTAChaque son est amplifié, créant un univers à la limite de ce qui pourrait devenir irritable. Des petits sons, comme celui obtenu par l’une des danseuses s’employant à lisser sa fausse moustache d’un côté puis de l’autre, avec constance et précision, se donnent à entendre sans raison apparente.

 

Plonger dans le noir

Les jeux d’ombres, on pouvait s’en douter, sont aussi très habilement amenés, comme les créatures d’un monde parallèle. Mais la fascination d’Ann Van den Broek pour le noir, on pourrait le lui reprocher, ne glisse jamais vers l’évocation de la matière noire de l’univers, et de ce que les astrophysiciens appellent l’énergie noire, constituant la plus grande partie de l’univers, et qui même pour eux, au regard de la science, reste un mystère absolu.

45 minutes après le début de ce spectacle inclassable, les danseurs dansent enfin, sous un éclairage normal. La chorégraphe ne manque pas d’imagination toute personnelle. Les mouvements des danseurs donnent à voir du jamais vu, c’est-à-dire à la défense de tout style ou influence extérieure.

Mais encore là, l’attirance vers le noir l’emporte assez vite aux dépens du feu des projecteurs. Ann Van den Broek utilise la fine pointe des technologies pour les projections vidéo live ou en différé, les bruits dissonants, les musiques lourdes d’atmosphère et les extraits de textes narrés par des voix qui réchauffent. De toute évidence, elle aime le noir qui pour elle n’est pas une non-couleur associée à un sentiment de peur, ni à un imaginaire angoissant, et encore moins à la mort.

L’artiste au cœur de la compagnie belgo-néerlandaise WArd/WaRD (Anvers et Rotterdam) a signé à ce jour une vingtaine d’œuvres, comprenant des films et des créations in situ. Après une longue et fructueuse carrière d’interprète, elle se consacre maintenant entièrement à la chorégraphie.

The Black Piece, comme auparavant Co(te)lette, une œuvre forte sur l’objetisation de la femme  présentée à l’Usine C en 2013, ont toutes deux été récompensées par le Swan Award de la meilleure production en danse, le prix le plus prestigieux décerné aux Pays-Bas.

Juste avant la fin du spectacle, elle nous gratifie d’une berceuse où une voix doucereuse nous glisse à l’oreille : «Je vais te donner le sommeil. Je vais te donner des rêves». Puis, on entend tomber de fines gouttelettes d’eau, toujours et encore dans le noir.

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