
Festival International de Jazz de Montréal 2025 – Jour 7 | Un Twin Peaks Show comme une White Lodge à l’abri de l’orage
Quelques six mois après le décès du grand maître cinéaste David Lynch et deux ans et demi après celui de son compositeur fétiche Angelo Badalamenti, la SAT accueillait mercredi soir, le 2 juillet, un spectacle rendant hommage à la célèbre musique de la série culte Twin Peaks et de son controversé film « Twin Peaks : Fire Walk With Me ». Ça se tenait dans le cadre – ou plutôt en marge – du Festival International de Jazz de Montréal…
On n’a pas trop remarqué à quel moment ni comment l’ajout du Twin Peaks Show a été annoncé. C’est mystérieusement apparu dans la programmation du FIJM, comme un ovni qui apparaît sans trop qu’on sache. Les relationnistes de presse du FIJM n’avaient pas de billets à offrir aux médias pour ce show, – merci à la SAT pour leur collaboration! – et tout le monde de l’équipe du festival qu’on croisait à la salle de presse semblait à peine au courant que ce spectacle s’incluait à leur programmation.
Ça ne pourrait pas être plus Lynchien : la SAT devenait pour l’occasion comme un espace à part, peut-être réel ou carrément fabulé, une Lodge où se déroulerait un spectacle pourtant bien jazz, mais qui vivait à son propre rythme, dans son propre espace-temps.
À l’intérieur du lieu de spectacle à la vibe adéquatement industrielle de la Société des Arts Technologiques se trouvait pourtant une population de fans avertis, certains en habit d’agent du FBI, ou arborant les fameux motifs zigzag qu’on associe à la série culte de Lynch.
D’autres y allaient de références encore plus obscures :
La prestation débutée, on se croyait dans le fameux Bang Bang Bar, la taverne surnommée Roadhouse par la population de Twin Peaks, où la mystérieuse Julee Cruise et d’innombrables artistes se sont produit tout au long de la série.
The Voice of Love, tirée de la trame sonore du film Twin Peaks : Fire Walk With Me, lance le bal, pendant que les musiciens s’appliquent à reproduire très fidèlement les sonorités, le mood savoureusement lascif et glauque, le jazz d’ascenseur et même l’ambiance emboucanée des prestations qui ont marqué la série, par le biais d’éclairages particulièrement respectueux de la direction photo de Twin Peaks. Le travail d’Antoine Saint Maur et de Maude Antoine sont à souligner au niveau du visuel : non seulement les éclairages sont Lynchiens, mais les écrans de la SAT projetait tout au long des bouts de scène de la série, légèrement distorsionnés et joués en boucle. Ça ajoutait beaucoup à l’ambiance.
Un projet exclusif
Pour la petite histoire, ce projet de concert a été mis sur pied sur scène par Jean-Philippe Audin, qui avait déjà travaillé avec David Lynch lui-même. Son projet de rejouer les musiques marquantes de la première saison de la série et du film de 1992 avait donné lieu à des prestations au Festival de Cannes en 2009, à Ars Cameralis Festival, ainsi qu’au Divan du Monde.
C’est la première fois que le projet donnait lieu à une prestation Outre-Atlantique. Et pour l’occasion, le bien-nommé One-Eyed Jacks Band était entièrement constitué de musiciens québécois : Elyze Venne Deshaies (saxophone, flûte et clarinette), Joseph Visseaux (vibraphone), Nicolas Riverin (trompette et guitare), Paulo Max Riccardo (batterie), Mathieu Descheneaux (basse) et Iris Godbout au chant. Toustes ont été sélectionné-es personnellement par Ghislain Leclant, Français installé à Montréal depuis quelques années, qui dirige le projet initié par Jean-Philippe Audin. Leclant coordonnait le tout en plus d’assurer les fameux synthés centraux à l’esthétique musicale du show. Audin, lui, jouait du violoncelle sur scène.
Au lendemain de la prestation, Elyze Venne Deshaies nous explique qu’elle avait rencontré Jean-Philippe Audin avec Ghislain Leclant il y a deux ans, lors d’une soirée Mardi Spaghetti à la Casa Del Popolo, alors qu’elle jouait avec Marilou Craft, poétesse et artiste sonore. Jumelés le temps d’une soirée, les deux duos ont connecté au point où des liens ont été tissés entre Audin, Leclant et l’artiste québécoise. Très familière avec Lynch, son oeuvre (surtout Mulholland Drive et Eraserhead), et la musique de Badalamenti, qu’elle qualifie « d’aussi marquante que celle de Morricone pour Sergio Leone », Elyze s’est empressé de démontrer son intérêt lorsque Leclant a laissé entendre qu’il était à la recherche de musiciens québécois aptes à jouer Twin Peaks sur une scène lors du Festival de jazz.
Selon elle, la synergie de groupe est le résultat d’une sélection soigneuse de Leclant. Tous devaient avoir une connaissance de l’univers de Twin Peaks, afin d’adopter l’esthétique de la série. « Le mood, c’est qu’on est dans l’univers parallèle de Twin Peaks, de Lynch, nous confiait Elyze. Je me sentais comme un amalgame de personnages et d’esthétiques. La première fois qu’on a joué le thème – Laura Palmer’s Theme – on avait des frissons. J’avais l’impression d’être en dehors de moi-même! »
Le frisson était collectif. Idem pour Audrey’s Dance, avec sa fameuse ligne de walking bass sur un air de style cool jazz, ses claquements de doigts rythmiques et sa batterie jouée avec des balais, qui fait dandiner Audrey Horne, un tableau iconique qui semble étrangement suspendu dans le temps, envoûtant et légèrement nostalgique. Si iconique en fait qu’une danseuse nommée Andrea Nino était appelée à incarner la fameuse « danse d’Audrey ».
Dans le même esprit, un peu plus tard, le comédien montréalais de petite taille Hasher Ahmed est venu incarner le fameux Man From Another Place lors d’une danse aussi caractéristique qu’intrigante.
Bref, tout était là pour immerger les fans de Lynch dans l’univers de Twin Peaks, « comme si on se trouvait dans une version théâtrale de TP dans un tout petit théâtre underground new-yorkais », comme le souligne Elyze Venne Deshaies. Elle ajoute que parmi les directives artistiques, il fallait que les musiciens acceptent « d’être des personnages mais sans voler l’espace du public, être moins chic que la foule » et « être à l’écoute du public, être le miroir de la foule ». L’intention de Leclant était aussi de laisser une certaine place à une forme d’improvistion, être en mesure de remanipuler les partitions.
Le projet, monté sous cette forme entièrement ici et nulle part ailleurs, pourrait d’ailleurs très bien refaire surface dans le futur. « Après le spectacle, on s’est tous demandé : on le refait-tu? »
Il y a encore tant à explorer, et à en juger par la réaction du public – la demande avait d’ailleurs forcé la tenue d’une supplémentaire à 23h – il y a encore clairement beaucoup à exploiter avec ce spectacle concept rafraîchissant et audacieux.
Photos en vrac
- Artiste(s)
- Elyze Venne-Deshaies, Twin Peaks Show
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Société des Arts Technologiques (SAT Montréal)
- Catégorie(s)
- Jazz,
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