crédit photo: La Compagnie Marie Chouinard, par Jérémie Boucher
Compagnie Marie Chouinard

Festival Furies 2024 – Chapitre 2 | Danse : une nouvelle définition

C’est déjà la fin pour cette cinquième édition de Furies, festival de danse contemporaine établi à Marsoui, en Haute-Gaspésie, Sors-tu a eu envie d’aller mettre son nez cet été. Trois journées de soleil tapant parties en fumée, où la diversité de la programmation s’est montrée de plus en plus assumée au fil des soirées. Furies, c’est de la danse contemporaine, bien sûr, mais c’est plusieurs autres choses aussi.

« Festival multidisciplinaire » serait presque plus approprié comme appellation, quoique l’importance de mettre la danse contemporaine de l’avant dans les évènements de la sorte demeure. Les festivals qui y sont dédiés ne pleuvent pas dans la province, et on associe parfois encore la danse à une pratique qui n’est pas accessible à tous publics.

Furies prouve le contraire : les deux grands évènements du samedi et du dimanche ne s’inscrivent pas dans cette catégorie. On a eu droit à des pièces audacieuses qui pourraient être qualifiées de marginales, mais qui ont visiblement réussi à toucher un public hétéroclite.

Après une journée garnie où les festivaliers et festivalières ont pu profiter d’ateliers de poésie, de danse sur la plage, de musique en nature et de cours de hip-hop, entre autres, l’équipe se rassemble à la Maison de la culture de Sainte-Anne-des-Monts, comme la veille, pour la pièce 18 P_R_A_C_T_I_C_E_S d’Andrew Turner.

C’est un plongeon dans son cerveau infiniment créatif que nous oblige à faire l’artiste, aussi détenteur d’une maîtrise en danse à l’UQAM. Comme il l’explique au public dès les premières minutes, dans un bris du quatrième mur qui se répétera plusieurs fois au fil de l’oeuvre, 18 P_R_A_C_T_I_C_E_S s’inspire d’une traduction bien précise de l’Odyssée d’Homère : celle d’Emily Wilson, parue en 2017. « La première par une femme, nous apprend-il. Took long enough. »

Crédits photo : Moïse Marcoux-Chabot.

Chaque acte de son œuvre-performance trouve ses fondements dans une partie de l’ouvrage de Wilson, mais s’en détache ensuite complètement. Les histoires et les regrets d’Ulysse deviennent les histoires et les regrets d’Andrew, communiqués par la danse, oui, mais surtout l’humour. L’impression qui colle après 18 P_R_A_C_T_I_C_E_S est celle d’avoir assisté à un one-man-show. Un bon. Des rires francs fusent du public presque en continu.

L’absurdité de son interprétation d’un si grand classique est brillante. Andrew Turner chante à l’envers, manie un sabre laser, nous prend par la main à travers des anecdotes sans queue ni tête. La pièce ne connaît aucune longueur, sauf peut-être, ironiquement, dans les segments dansés. Le frappant contraste entre la candeur de certains sketches et l’investissement que nécessitent les solos est parfois difficile à incarner.

Crédits photo : Moïse Marcoux-Chabot.

N’empêche, mener 18 P_R_A_C_T_I_C_E_S seul de bout en bout sans perdre la vitalité de la foule est un exploit. L’efficacité de ses processus créatifs est indéniable.

Marie Chouinard à la mer

Le dimanche, dernier jour de festivités, avait à son horaire une performance que tous et toutes attendaient sans doute. La Compagnie Marie Chouinard, que l’on a plus besoin de présenter, a réservé à Furies le premier arrêt de sa tournée estivale en caravane, qui propose des spectacles gratuits dans le Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie jusqu’à la fin août.

Le décor est pittoresque. On y programmerait n’importe qui qu’on serait assuré d’avoir un bon show. À la plage Henley, devant le café L’Hybride (en quelque sorte le carrefour du festival), une toile blanche est installée à même le sable. Des petits groupes affluent tranquillement, s’installent sur les quelques rangées de chaises disposées tout autour de la « scène » ou parterre sur de grandes couvertures. Le vent souffle, l’écume des vagues est bien visible.

Vêtu.es d’habits pâles et amples, les dix interprètes s’installent autour du public, en retrait. À tour de rôle, iels se tracent un chemin jusqu’au centre en monologuant dans une langue inventée. Leurs gestes sont incisifs, linéaires, partent du centre de leur corps pour terminer en électricité au bout de leurs doigts, leurs orteils.

La performance se découpe en cinq actes où l’improvisation (semi-dirigée, au moins) semble occuper une grande place. Comme dans plusieurs pièces de la chorégraphe, les interprètes utilisent aussi leur voix pour nous captiver. Dans un des segments les plus dynamiques de l’heure, iels se déplacent sur la toile au son d’une cloche pour présenter à chaque partie de la foule une sorte de court solo narré où leur singularité ressort à merveille.

Des duos qui utilisent les mains comme points de contact et dont l’intensité grimpe en crescendo donnent envie de voir les interprètes travailler ensemble davantage, vœu qui s’exauce quelques instants après. Les membres du public sont invité.es à piger dans de grandes bulles de verre les thèmes de séquences improvisées ainsi que le nombre et l’identité des interprètes qui s’y plieront. Une chouette idée pour les plus jeunes, mais aussi pour une frange du public qui serait moins familière avec le concept d’improvisation et son importance dans la discipline.

Une clôture à l’image d’une mission

La journée — et le festival — se termine au Salon 58, aussi cofondé par la codirectrice artistique du festival Priscilla Guy. La grande maison turquoise est située en retrait de la 132, dans le bois. Le chasse-moustiques est de mise pour la première fois de la fin de semaine : deux bouteilles trônent sur les rampes au devant de la demeure.

Ça n’empêche personne de festoyer. À l’intérieur, merch et boissons sont proposées, mais l’essentiel de la soirée se déroule dans la cour arrière, où un ring est installé pour recevoir à 20h la ligue de lutte féministe Lutte à l’Est, qui donne un spectacle hautement divertissant.

En attendant, le public peut vivre de doux moments avec Écoute pour voir, solos dansés par des interprètes vivant avec une déficience intellectuelle de la compagnie Maï(g)wenn et les Orteils. Dans le boisé derrière la maison sont aussi disposées les stations modulables Mirage de la compagnie Emmanuel Jouthe, de courts vidéos projetés sur des pierres lisses.

Courtoisie de l’artiste.

À l’image des trois jours de festival, de petits et grands groupes déambulent, s’émerveillent, discutent. Certains et certaines sont visiblement déjà en amour avec la danse contemporaine, d’autres sont seulement aux balbutiements de cette rencontre.

Pour élargir notre définition de la danse, ou pour audacieusement mettre en scène des artistes moins connu.es dans des paysages qui jurent souvent avec les exigences du métier, Furies détient une mission en or, qui, selon nous, ne peut qu’être pérenne.

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