crédit photo: Marie-Josée Lemieux
In My Body (Crazy Smooth)

Festival Furies 2024 – Chapitre 1 | Marsoui sait danser lui aussi

La cinquième édition du festival de danse contemporaine Furies est lancée. Du 25 au 28 juillet, Marsoui et Sainte-Anne-des-Monts, en Haute-Gaspésie, sont les hôtes de spectacles, d’ateliers et de conférences pour vivre la danse à l’extérieur des grands centres, avec l’écho de la mer en trame de fond.

Quand, après sept heures de route, Marsoui se révèle en bordure de la 132, on peine à croire qu’un festival de danse contemporaine de trois jours ait réussi à s’y installer. Le village est magnifique, les quelques maisons pâles s’y accrochent et bravent le vent, mais un étrange calme semble y régner, même au premier jour du festival. Pourtant, Priscilla Guy, Sébastien Provencher et Karla Etienne en ont fait leur terrain de jeu. Et l’accueil des dernières années des résidents et résidentes est favorable.

Une variété de performances et d’activités est proposée au public de Furies, de noms bien établis comme la Compagnie Marie Chouinard ou Crazy Smooth à des projets plus émergents que la direction artistique souhaite faire découvrir aux curieux et aux curieuses.

Spectacles en salle, extérieurs, cours de danse, tables rondes, ateliers d’écriture, soirées dansantes : quelqu’un qui souhaite remplir sa fin de semaine n’aura aucun mal à le faire.

Sors-tu? s’est engagé dans un riche programme triple vendredi soir, première soirée officielle de performances si on met de côté l’évènement d’ouverture la veille.

C’est à la Maison de la culture de Sainte-Anne-des-Monts que s’amorce le parcours, avec le show phare de la soirée, In My Body du danseur primé Crazy Smooth, accompagné de sa compagnie de street dance Bboyizm. L’œuvre d’une heure et demie, mise sur pied en résidence de 2019 à 2021, est d’une pertinence indéniable, s’il n’est qu’elle aborde le vieillissement dans le milieu de la danse.

On serait susceptible de l’oublier, mais poursuivre sa carrière après le cap des 30 ans représente un aussi grand défi en ballet qu’en danse de rue. Entremêlés avec les séquences dansées, des témoignages audio des artistes DKC Freeze et Tash, aussi sur scène, mettent des mots sur les obstacles de leur corps qui s’affaiblit et leurs articulations qui peinent à suivre la vivacité de leur passion.

Tash, 50 ans, s’épanche sur le compromis entre carrière et maternité. La foule, très réactive du début à la fin d’In My Body, comme il est coutume en street dance, se réjouit à la nouvelle du choix de la danseuse de continuer à danser malgré les limitations de son corps et sa situation familiale.

L’impact du propos est accru par la diversité de la troupe, dont la majorité des « b-boys » et des « b-girls » semblent être à la fleur de l’âge. Est-ce que les prouesses physiques (fascinantes, on doit le relever) devraient à tout coup prendre le dessus sur l’expérience? Pourquoi est-il si important de chérir cette passation du savoir dans une discipline? Bboyizm et l’émouvante communion entre ses membres nous le communiquent clairement.

Une dose de futurisme autochtone

25 minutes de voiture et nous voilà ensuite rendues à Marsoui, où le reste de la soirée prend place. Le charmant et intime centre récréatif reçoit Radio III / ᎦᏬᏂᏍᎩ ᏦᎢ, un « spectacle autochtone futuriste » co-créé par Hanako Hoshimi-Caines, Zoë Poluch et Elisa Harkins sur la réserve Muscogee, à Stockholm, et à Montréal.

La pièce d’une heure, entre autres inspirée par le minimalisme et le contre-colonialisme, comme l’indique le foulard à l’inscription « LAND BACK » qui repose sur les épaules de l’artiste et compositrice Elisa Harkins en fin de performance, prend un moment à apprivoiser.

Les chansons, interprétées en direct par Elisa sous des éclairages colorés et des bandes sonores disco poussés à l’extrême d’un kitsch assumé, évoluent en marge de la gestuelle des deux danseuses. Cette dernière est souvent marquée d’une lenteur exploratrice, d’une expérimentation de l’espace presque animale. La maîtrise de leur corps est d’autant plus impressionnante, tout particulièrement dans un duo au sol où elles traversent la scène en rampant, les membres entremêlés, dans tout ce qui ressemble à une séquence improvisée.

RADIO III / ᎦᏬᏂᏍᎩ ᏦᎢ TRAILER from Elisa Harkins on Vimeo.

Warm up : encore plus puissant à la belle étoile

Après deux performances en salle, Furies, à l’image de tout festival qui se respecte, déplace ses activités en nature, à trois kilomètres au sud du bord de mer, au « Pit de sable ». Il est 22h, la noirceur est totale. L’équipe de Furies nous guide sur la route accidentée avec leurs enseignes lumineuses. On débouche sur un grand terrain vague où trône le fameux pit de sable sous un ciel étoilé auquel Montréal n’a jamais droit. Une fois les quelques dizaines de personnes venues assister à warm up sorties de leur véhicule, on nous guide dans les hautes herbes jusqu’à la « scène », une grande bâche à même le sol, entourée de trois rangées de chaises et des tapis où un chien élit rapidement domicile.

warm up semble avoir été dessinée pour un lieu pareil : c’est presque dommage que la pièce ait été présentée en salle par le passé. Derrière une montagne de roches se trouve tout le matériel dont Mykalle Bielinski a besoin pour mener à terme sa performance, ou plutôt pour mettre en branle son vélo, qui, par un système de filage, alimente son ordinateur, sa boîte de son, son micro et son projecteur.

Mykalle, avec cette oeuvre-performance, pédale pour parler d’autosuffisance, de décroissance, de changements climatiques. L’électricité nécessaire pour donner vie à son spectacle est produite par son corps, et ses réserves sont limitées, donc elle bondit sans cesse de son banc de vélo à son micro, pour finir par combiner les deux alors que son compteur n’indique que 2 %. Un empressement presque paniqué teinte ses mouvements pour illustrer la course de celles et ceux qui se battent contre les industries polluantes.

Il n’y a pas de temps à perdre, insiste un enregistrement soigneusement écrit qui résonne dans le pit une fois que sa batterie est officiellement à plat. Mykalle est solide, tant dans sa forme physique que dans sa lutte, et Warm Up est un coup de poing. Surtout dans la forêt de Marsoui, sous les étoiles.

Suivez-nous en début de semaine pour un second compte-rendu. Une fois Sors-tu? bien installé en Haute-Gaspésie, vous vous doutez qu’on y reste.

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