Festival FIL 2016 | La littérature ne tient qu’à un FIL : Lectures inspirantes de Jack Kerouac et de Réjean Ducharme
Qui a dit que la littérature ne se donnait pas en spectacle? Encore cette année, le Festival international de la littérature (FIL) nous a fait la preuve du contraire, en conviant à la fête des mots partagés pas moins de 200 écrivains de tous horizons. Parmi les lectures publiques les plus prisées figurent La vie est d’hommage de Jack Kerouac, et L’avalée des avalés soulignant les 50 ans de la parution du génial premier roman de Réjean Ducharme.
D’abord Jack Kerouac, l’écrivain canadien-français né à Lowell au Massachussetts, d’une mère originaire de Saint-Pacôme de Kamouraska. Il s’appelait Jean-Louis en réalité, et il a parlé uniquement le français à la maison jusqu’à l’âge de six ans. Quand les archives de cette icône de la Beat Generation sont devenues accessibles en 2006, le professeur Jean-Christophe Cloutier a colligé nombre de textes inédits écrits directement en français. C’est ce qui a conduit à la parution récente du livre La vie est d’hommage aux Éditions du Boréal.
Robert Lalonde, qui cumule les deux talents d’écrivain et de comédien, a puisé dans ce recueil pour sa lecture au Théâtre Outremont. Et afin d’être fidèle encore plus à l’esprit de Kerouac, passionné du jazz des caves de Harlem et des airs fameux du be-bop, Lalonde a interprété les textes de l’auteur de On the road (1957) en étant accompagné au piano par John Roney. Les deux, magnifiquement, ont fait la paire.
On ne dira jamais assez à quel point le mouvement de la Beat Generation, avec les comparses de Kerouac qu’ont été les écrivains William S. Burroughs et Allen Ginsberg, a révolutionné la littérature américaine, bravant au nez des bien-pensants des thèmes comme l’homosexualité et la liberté sous toutes ses formes. C’est d’ailleurs des beatniks que découleront ensuite les hippies, repoussant encore plus loin la libération des mœurs puritaines d’alors.
Mais l’alcool et l’usage des drogues ont écourté la vie de Kerouac. Dans ses textes, il révèle que sa première paie (16.83 $) correspond à sa première brosse, qu’il se perçoit comme un gros chien aux yeux mouillés, qu’il n’a jamais aimé la vie mais plutôt le cœur du monde, que la mort n’est rien en comparaison de la tristesse de la vie, qu’il faut baisser la tête pour nous comprendre un tant soit peu, que la nuit est devenue sa femme, ou encore qu’il sacre, rêve et braille en français.
Deux jours plus tard, toujours dans le cadre du FIL, mais à la Cinquième Salle de la Place des Arts, ce sont les mots tranchants et brûlants du roman initiateur de Réjean Ducharme qui ont résonné devant un public conquis.
Lorraine Pintal, qui compte parmi les rares ayant gardé en vie l’œuvre de notre écrivain fantôme, caché depuis 50 ans, signait cette adaptation de L’avalée des avalés dont elle a confié la lecture à Louise Marleau et Maxime Denommée, mais surtout à la prodigieuse Sophie Cadieux dans le personnage central de Bérénice Einberg, 11 ans, et que tout avale.
Dans le programme de la soirée, Lorraine Pintal déclare : « Il y a la langue ducharmienne qu’il faut traduire en faisant voir ses sonorités et entendre ses couleurs. Sa langue ne coule pas; elle bégaie, secoue, cogne dur, invente ses idiomes, frappe le mur de la logique et nous atteint comme de véritables chocs électriques ».
Difficile de croire que l’auteur accompli de ce roman dévastateur n’avait que 24 ans à sa parution chez Gallimard en 1966.
Pour cette lecture rentre dedans, « vacheries » comprises, le cinéaste et artiste en arts visuels, Charles Binamé, a imaginé un astucieux dispositif à grande échelle placé au centre de la scène. Une sorte de réceptacle vaginal, avec des compartiments comme autant de tiroirs secrets à partir desquels Bérénice, qui déteste sa mère renommée Chat Mort, lance ses petites phrases assassines: « J’appelle le désordre, mais rien ne vient », « Il ne faut pas laisser traîner le feu », « Comme c’est vite passé le passé » , « L’amour est faux, la haine est vraie » ou encore « Tous les dieux sont de la même race ».
Une lecture-spectacle donc, qui a procuré deux pleines heures de plaisirs coupables aux privilégiés présents dans cette salle, transformée en l’île d’une Bérénice atteignant 239 ans, à ce qu’elle nous a dit sans aucun ménagement, comme c’est le cas d’ailleurs dans toute l’œuvre géniale de Réjean Ducharme.
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