Faire la mort à Espace Go | Réflexion salutaire sur le deuil et la fin de vie
Sur la scène de l’Espace Go flotte comme un air d’au-delà. D’immenses tentures sombres. Une lumière crépusculaire. La terre, surtout. Une épaisse couche de terre sur laquelle évoluent les personnages, et dont ils tirent par moment des objets. Cette terre moelleuse et inquiétante qui nous absorbera tous un jour ou l’autre. Ici, on apprivoise la mort.
Krystel, la protagoniste (incarnée par Laetitia Isambert-Denis), est pourtant pleine de vie, d’amour et de questions. Obsédée par un père absent, qui a choisi de retourner vivre avec l’épouse dont il s’était brièvement séparé, elle cherche, non sans mal, à tisser des liens avec son géniteur. Gêné, taciturne, protecteur de sa famille officielle, ce dernier n’apparait que sporadiquement, pour mieux disparaitre des années durant.
C’est de lui que vient le déclic de Faire la mort. Quand sa mère lui demande, maladroitement, si elle souhaite être informée, le jour venu, du décès de son père, Krystel est envahie par l’émotion. Ses larmes, qui laissent sa mère perplexe, ne sont pourtant que le symptôme d’un sentiment de perte qui existe en elle depuis toujours. La jeune femme doit faire le deuil d’un père qui est bien vivant.
La pièce nous entraîne dans l’histoire de ce deuil et nous rapproche à petits pas de la mort. Dans un premier temps, elle alterne entre deux univers. D’un côté on suit la vie de Krystel, la complicité avec sa meilleure amie, la relation tendre et compliquée avec sa mère, le vide laissé par son père. De l’autre, on boit les paroles d’une thanadoula, accompagnante de fin de vie, qui, en conseillant un malade, s’adresse aussi à nous.
Puis la ligne de temps devient élastique et les cartes se mêlent (et nous aussi) pour nous conduire à une image finale poignante, qui invite à réfléchir aux rituels funéraires et à la distance que notre société a prise vis-à-vis de ses morts.
Mettre des mots sur la mort
Si ce dernier tableau, sublimé par la musique de Mykalle Bielinski, vient nous chercher au plus profond de nous-mêmes, Faire la mort n’est pas pour autant une pièce triste. L’autrice Krystel Descary a su distiller de l’humour tout au long de son œuvre, dont les comédiens et la metteuse en scène Marie-Ève Milot se sont emparés avec brio pour nous offrir des moments légers au milieu de thèmes lourds. Même le père, dans son incapacité à répondre à sa fille surexcitée de le voir, parvient à nous faire sourire, trouvant dans l’assemblage d’un meuble Ikéa la meilleure des excuses pour retomber dans le silence.
Malgré des références aux années 1990 un peu trop appuyées, on embarque volontiers dans l’univers de ces personnages. A travers le temps qui passe, la mort fait plusieurs apparitions : la perte d’un ami, d’un oncle, un accident de voiture dont les amies se sortent miraculeusement indemnes. Krystel, elle, continue d’espérer obtenir des réponses aux questions qu’elle rêve de poser à son père : « Penses-tu à moi des fois? Pourquoi tu nous a pas choisies? As-tu eu envie de revenir? »
Cette quête infructueuse ne se suffirait pas à elle-même. Mais la présence de la thanadoula, sage-femme de la mort incarnée par Krystel Descary elle-même, nous transporte dans la réalité des derniers moments de l’existence pour mieux les démystifier.
La dramaturge a été formée à cette pratique, qui lui a inspiré dans un premier temps l’idée d’un documentaire. Elle a finalement choisi « l’autofiction documentée », une forme théâtrale qui lui permet de s’appuyer sur son expérience tout en s’offrant une certaine liberté narrative. Le personnage de la thanadoula, dont les interventions ont un petit air de capsule, joue un rôle d’utilité publique en mettant des mots simples sur la mort.
Saviez-vous que l’ouïe est le sens qui part en dernier, ce qui donne aux mots murmurés aux mourants toute leur importance? Que le pouls se dérègle? Qu’un regain d’énergie survient dans les dernières heures?
« Accorde du temps à ton corps pour qu’il se souvienne qu’il sait mourir » conseille-t-elle.
La pièce aurait pu faire plus de place à ce personnage, dont la présence force la réflexion. Mais au bout d’une heure, tout s’emballe. Changement de cadre, passage par une thérapie psychédélique, retournement dont on ne sait s’il est vrai ou imaginé… on finit par se perdre. Dommage d’avoir dans la tête des questions finalement sans importance quand surgit un puissant moment de recueillement.
Malgré ce déséquilibre, Faire la mort s’attaque courageusement et avec intelligence à un de nos plus grands tabous. Et à ce titre, le spectacle mérite d’être vu.
Au Théâtre Espace Go jusqu’au 8 décembre. Détails et billets par ici.
- Artiste(s)
- Faire la mort
- Ville(s)
- Montréal
- Salle(s)
- Espace GO
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