Entrevue – Les Érotisseries : essais érotiques consensuels | Vibrer dans l’empathie et la bienveillance
Depuis 2005, les productions Carmagnole proposent un voyage voluptueux et forcément érotique, à la recherche de notre thanatos et notre Éros, dans leur spectacle Les Érotisseries. Entre annulations et reports, ses créatrices et interprètes Catherine Desjardins-Béland et Éliane Bonin ont fait preuve de la désormais célèbre résilience pour faire aboutir cette édition 2022, et pour offrir des tableaux en accord avec leur vision, en désaccord avec les tabous de la société et en total respect du public. Même si les propositions diffèrent des débuts, une chose est sûre : dans un contexte où la pandémie a envoyé valser nos désirs de proximités et d’abandon charnel, l’érotisme et les plaisirs qui en découlent, ça fait du bien, au corps comme à l’âme. Nous avons discuté de tout ça avec Mmes Desjardins-Béland et Bonin.
Érotisseries : essais érotiques consensuels from Espace Libre on Vimeo.
Charleyne Bachraty : Peut-on parler de thématique ou de fil conducteur pour cette édition 2022 des Érotisseries ?
Catherine Desjardins Béland : Ça part toujours de nos démarches personnelles, donc finalement le fil conducteur, ce sont les membres de la troupe ! Ce sont des images, des thèmes qui nous parlent, c’est un spectacle vraiment personnel ! Mais au fil des années, on fluctue, on change, une maturation se produit.
Éliane Bonin : En 2005, on était jeunes, punk, on avait 23 ans, on était à l’arrache, bénévoles… La volonté de provoquer que l’on avait à cette époque s’est transformée. En 2014, l’édition précédente, notre vécu avait déjà évolué, de même que la société. Et c’est à travers eux que l’on se questionne, et c’est à partir d’eux que l’on puise nos envies d’aborder des sujets tabous, nos culpabilités, nos peurs, ou encore ce qui n’est pas consensuel, comme le rejet. Je me souviens d’un numéro où un clown tombait en amour avec la maîtresse de cérémonie, mais c’était pas réciproque. Et là, le clown était complètement down, il a sorti ses tripes sur scène, il souffrait, et cette image forte, parfois on a en besoin. Ce contraste entre la vie et la mort, ce qui nous rend heureux, ce qui nous fait du bien et ce qui nous fait du mal, et l’on se sert de notre Éros pour ça (NDLR : Éros est le dieu de l’Amour et de la puissance créatrice dans la mythologie grecque en opposition avec Thanatos, personnification de la Mort).
CDB : En 2014, on parlait de sujets tabous, oui, qui pouvaient être douloureux pour le public. Sans être francs et littéraux, ils pouvaient refléter des blessures. C’est pour ça qu’en 2022, on n’a pas eu envie d’aller dans cette direction. L’inconfort, c’est ça le gros tabou de notre société, et on est capable d’aller le chercher sans que ça réveille des blessures.
CB : Dans ce cas, on aborde forcément la question du consentement…
CDB : Le consentement est omniprésent pour le public. Il a le choix de se positionner dans la salle selon qu’il se définit comme voyeur ou mouillé. Il est libre de participer ou non à ce qui se passe, et peut toujours changer d’idée en cours de route. C’est une question de sécurité qui est importante pour nous.
ÉB : C’est effectivement depuis 2014 que l’on a cette réflexion. Avant, il pouvait toujours y avoir un flou au niveau du rapport entre deux personnages sur scène. Maintenant, on cherche à s’éloigner de ça, pour aller vers des espaces bienveillants. Donc, on en parle du consentement, on le nomme dans le programme, partout. Une journaliste me disait : tout ce qui sort du consentement n’est plus érotique, et c’est vrai ! Chacun à ses limites. Tu peux fermer les yeux, tu peux sortir de la salle, revenir, le personnel de l’Espace Libre est prêt à t’accueillir, tu as le choix. On ne peut pas prendre pour acquis que tout le monde peut aller aussi loin que nous dans ce genre de spectacle. Créer et faire des recherches pour nous, c’est beau, c’est extravagant, c’est absurde aussi et tout le monde peut le voir, mais avec les tabous qui sont les nôtres, c’est plus difficile. Alors, si on apporte cette notion d’empathie, ça devient plus confortable.
CB : Quelle place a prise la pandémie dans le processus de création ?
CDB : On est parti dans des thématiques plus solitaires et aussi davantage dans le ressenti, le fait de vibrer dans l’empathie. Ça fait trois ans que l’on a nos idées et qu’on les fait germer ! Donc, on est plus que prêts à aller sur scène. On a fonctionné en zoom, ce qui était déjà un baume sur le cœur et surtout, on a eu le temps de réfléchir. Ça nous a amenés ailleurs, on a pu prendre le temps de sentir, d’être incarné, de se repositionner, de se connecter.
ÉB : On avait l’impression d’aller dans du minimalisme, mais on a quand même 16 tableaux ! Mais au final c’est très bien, car le public va y trouver son compte. Des fois, il va peut-être trouver que c’est long, d’autres fois, il va tomber en méditation. C’est ça aussi notre réalité : il faut captiver un public qui a l’habitude de consommer beaucoup et vite !
CB : Est-ce que vous avez l’impression de devoir aller plus loin dans le trash pour arriver à représenter l’érotisme de nos jours ?
ÉB : On est toujours dans une démarche intime et délicieuse pour parler des sujets dont on ne parle jamais, comme le clitoris interne qui grossit toute la vie, et qui signifie que le potentiel de plaisir de la femme grandit avec le temps. C’est formidable de savoir ça ! Aujourd’hui, le trash n’a plus sa place, l’arrogance de notre vingtaine a disparu. On a besoin de s’aimer au complet, dans l’ouverture et pas dans la confrontation. On propose plutôt des acrobaties émotionnelles, d’aller chercher une partie de soi plus vulnérable, plus intime, fragile, sensorielle, et aussi de parler de l’image corporelle, de la sexualisation de la femme, et tout ça, on le fait dans le respect et l’estime du public.
CDB : Aller loin pour aller loin, ça ne vaut pas la peine. Nous ce qu’on veut, c’est aller le plus loin possible dans un certain confort. On veut vibrer et se projeter dans notre jeu, et on veut que les gens embarquent et soient oui, surpris, dérangés peut-être, mais dans les limites de leur confort.
ÉB : On veut mettre plus de Éros et moins de Thanatos. On veut permettre à l’érotisme de sortir des quatre murs d’une chambre et montrer que ce n’est pas juste la violence qui peut exploser !
Les Érotisseries seront présentées du 3 au 21 mai 2022 au théâtre Espace Libre, à Montréal. Détails et billets ici.
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